Devdas ou la finesse de la démesure façon Bollywood...

Jusqu'à récemment, ma culture cinématographique souffrait d'une très grave lacune: à part quelques extraits et bandes annonces ça et là, je n'avais jamais vu un seul film bollywoodien et mes connaissances théoriques basiques sur le sujet (films démesurés et archi-"sucrés", kitchissimes, remplis de bons sentiment jusqu'à l'écœurement, etc...) ne me tentaient pas plus que ça. A vrai dire un seule chose m'intriguait: le mélange des genres; et puis il fallait bien que je rattrape cette lacune, aussi, après quelques fouilles sur le net je me décidai à regarder celui-ci, avec en tête non-pas une défiance mais une prudence certaine...
Me voilà donc devant ce truc sans savoir ce que je vais trouver dedans: allons-y me dis-je...et le début me fait vraiment craindre le pire... Me voici dans une demeure majestueuse qui date, d'après les informations que j'en avais au lu du synopsis, du début du XXème siècle. Et toute une famille est heureuse mais comme elle est heureuse!.. du retour du fils après une absence de dix ans. Dans la maison d'à-côté, un rien moins opulente mais pas mal quand-même, il y a celle que le garçon aimait et dont il a été séparé ces dix ans qui a allumé une lampe en attendant son retour. Et là aussi tout le monde est content, tout le monde est ému: tout va bien!.. "Dois-je vraiment continuer?.." me dis-je, de plus en plus sceptique. Et soudain arrive ce que j'attendais peut-être avec le plus de curiosité: la première scène chantée. Et quelque-chose me cloue, quelque-chose me prend les yeux: ce rythme, cette chorégraphie, ces plans, ce montage... il y a un "truc" qui se passe, un truc qui rend attirant tout cet attirail et ces babioles et qui leur donne une certaine magnificence et je me dis que je vais peut-être pousser la curiosité un peu plus loin (et puis l'actrice principale [que je savais être une ancienne miss Monde] est vraiment belle)... L'histoire se poursuit avec l'arrivée du héros, et, malgré le sucre encore dégoulinant cet acteur a une voix, une tonalité, un regard bizarrement douloureux... Les retrouvailles des amants, quoique archi-conventionnels, sont bigrement beaux esthétiquement parlant, et puis au bout d'environ une heure où je n'ai de cesse de basculer entre l'agacement (le scénario) et un certain émerveillement (la mise en scène) le film bascule du tout au tout: les rangs sociaux trop différents et la fierté malsaine de la famille du héros rompent les fiançailles, l'héroïne est promise à un aristocrate et le héros, trop faible et surtout déchiré entre son amour et la crainte de ses parents, rate l'occasion de s'imposer.
Ce basculement est décisif et éveille au plus haut point mon intérêt: tandis que l'héroïne arrive dans une famille de la haute mais dont son mari, veuf, lui fait savoir qu'il ne la touchera jamais, le héros fuit dans un bordel de luxe et rencontre une prostituée superbe qui lui offre un amour qu'il refuse. Désemparé par ce qu'il a perdu, il s'enfonce dans l'alcool...


Je m'arrête ici car à-partir de là l'enchantement a été total de chez total: au diable mes réserves du début (le premières scènes auront droit à un sublime et très malicieux parallèle) je découvre un film hautement intelligent, extrêmement critique envers la société qu'il décrit, avec des personnages féminins bien plus forts que les masculins, et des héros nuancés et voués à la tragédie. Portant le film, Shahrukh Khan interprète un héros victime de lui-même et de ses contradictions: un intellectuel désespéré et toujours incompris qui perdra tout sans un mot, avant de réaliser son ultime promesse (l'acteur, pour jouer les scènes d'ivresse, se soûlait réellement): trop fier, trop lucide, trop amoureux, il est un personnage d'autant plus touchant qu'il va sciemment à son destin, sans chercher à le fuir (son ultime suicide est à la fois un pardon à son seul ami masculin et une dernière volonté de vivre intensément). A ses côtés, Aishawarya Raï est d'une beauté sublime, fière et caractérielle, plus résignée mais pas moins fragile, privée à jamais du bonheur, fut-ce celui de l'amitié: masque de rêve qui semble toujours prêt à se craqueler, elle en "dégage" bien assez pour éviter la fadeur et la caricature. Enfin, Madhuri Dixit campe une courtisane phénoménalement forte, à la sensibilité à fleur de peau, éperdument amoureuse et qui n'aura pas le droit de sortir de sa condition: peut-être le personnage le plus positif du film dans l'absolu, elle a le cran de frapper un homme de haute lignée à la plus grande joie du spectateur. En y ajoutant les décors magnifiques, les danses merveilleuses et un scénario en fait en béton armé, je peux dire que j'ai eu un choc auquel je ne m'attendais pas du tout mais qui m'a ravi tant et plus: tragique, d'un érotisme grandiose mais sans aucune scène vraiment intime (les baisers sont TOUS avortés et le contact "intime" le plus direct est celui entre le héros et les pieds de l'héroïne, dans une sublime scène nocturne), très fin et très critique dans son fond, ce film raconte une histoire universelle à la sauce bollywoodienne, c'est à dire dans un maelstrom de splendeurs. On peut trouver ces décors kitch, ces flots de larmes et certains personnages négatifs "too much": nier sa qualité serait tout simplement de la mauvaise foi éhontée!.. Je voulais découvrir Bollywood: je n'ai pas été déçu. Quelle claque! Quelle émotion! Quelle splendeur! Quel fantastique film!..

Sudena
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le 23 oct. 2015

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Sudena

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