Que Jacques Audiard est fait de Cannes sa seconde maison au sein d'un septième art français qu'il domine de la tête et des épaules par la force de sa plume - et de sa caméra -, n'a décemment rien d'étonnant, la Mecque du cinéma mondial se devant de récompenser la crème de la crème.


Six ans tout pile après s'être emparé du Grand Prix lors de l'édition 2009 - pour Un Prophète -, le bonhomme a remis le couvert cette année en empochant à la grande surprise de tous, la Palme d'Or avec son osé Dheepan, qui n'avait pas fait l'unanimité au sein de la presse au moment de sa projection.


Signé conjointement par Audiard et Thomas Bidegain (déjà de Un Prophète et De Rouille et d'Os), libre interprétation des Lettres Persanes de Montesquieu et porté - en majeure partie - par des comédiens non professionnels; Dheepan suit l'histoire de Dheepan justement, un combattant de l’indépendance tamoule, un Tigre.



La guerre civile touche à sa fin au Sri Lanka, la défaite est proche, Dheepan décide de fuir.


Il emmène avec lui une femme et une petite fille qu’il ne connaît pas, espérant ainsi obtenir plus facilement l’asile politique en Europe.



Arrivée à Paris, cette « famille » vivote d’un foyer d’accueil à l’autre, jusqu’à ce que Dheepan obtienne un emploi de gardien d’immeuble en banlieue.


Dheepan espère y bâtir une nouvelle vie et construire un véritable foyer pour sa fausse femme et sa fausse fille.



Bientôt cependant, la violence quotidienne de la cité fait ressurgir les blessures encore ouvertes de la guerre.



Le soldat Dheepan va devoir renouer avec ses instincts guerriers pour protéger ce qu’il espérait voir devenir sa « vraie » famille...


Difficile de savoir ou cherche réellement à en venir Audiard dans sa peinture schématique et plus ou moins réaliste de la France en crise d'aujourd'hui, en comparant la vie bouillante des cités à celle de la guerre civile sri-lankaise, deux territoires certes hostiles mais loin d'être semblables, constituant un quotidien entre humiliation, précarité et ultraviolence poussant constamment le héros, en pleine lutte intérieure, à retrouver les instincts primaires qu'il avait pourtant si ardemment refoulé.


Le bonhomme pourtant visiblement inspiré par son sujet, se perd dans sa mise en abyme poignante et dramatique de la terrible lutte tamoule (l'ouverture est aussi rude que saisissante), un drame social et politique qui va peu à peu se transformer en western urbain au moment ou cette fausse famille qui pourrait véritablement en devenir une, emménagera dans une cité baptisé ironiquement Le Pré, toujours avec la même idée en tête de faire de son métrage une ode à la vengeance au sein d'une no-go zone ou la violence est le seul maitre mot.


Conte social et noir façon vigilante movie clairement inédit pour le cinéaste (que ce soit dans la culture de ses personnages titres ou son unité de lieu limité) mais assez mineure et simpliste comparé à la maestria de ses précédents essais (et de sa filmographie, tout court), critique moins percutante d'une France déchirée par ses inégalités et sa violence avancée que celle assassine de l'univers carcéral de son sublime Un Prophète, étouffant tout en étant cruellement dénué d'émotion et de véritable psychologie (il omet même de creuser plus profondément certains détails pourtant cruciaux de son intrigue, notamment le personnage de la petite Illayaal, dont on ne ressent pas particulièrement la gêne de vivre avec deux inconnus); Dheepan est une œuvre que l'on aurait décemment préféré plus radicale, moins tapageuse, réaliste (il est ici à contre-courant de la société actuelle) et au mélange des genres plus maitrisé, tant elle promettait un vraie renouveau d'exception dans la carrière du vénéré Audiard.


Reste que la mise en scène absolument brillante et le casting convoqué, en tout point remarquable (Antonythasan Jesuthasan, tout en intériorité et doux, campe un Dheepan absolument hallucinant tandis que Vincent Rottiers confirme tout le bien que l'on pense de lui dans la peau de Brahim, un caïd réservé), sauvent en partie ce portrait nihiliste d'une société hexagonale à la violence aveugle et arbitraire, vulgairement hiérarchisée comme plus violente qu'un pays torturé par la guerre.


De là à dire que le jury des frangins Coen a un poil surévalué la chose pour en faire le percutant must-see Cannois de la dernière Croisette, il n'y a qu'un pas que l'on se garderait de franchir... quoique...


Jonathan Chevrier


http://fuckingcinephiles.blogspot.fr/2015/08/critique-dheepan.html

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le 26 août 2015

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