Louis-Julien Petit n’est pas un novice du cinéma, puisqu’il a été assistant-réalisateur sur des projets divers et variés, y compris sur les scènes françaises de films comme Inception, Inglorious basterds ou encore Hugo Cabret.

Pour son premier film en tant que réalisateur, il choisit un sujet de société qui n’invite pas forcément à aller au cinéma, car il s’agit du gaspillage alimentaire et plus généralement, de « l’horreur économique » prédite depuis près de vingt ans déjà par la regrettée Viviane Forrester.

Pour ce faire, il s’éloigne du misérabilisme et de la victimisation, et au contraire choisit un angle d’attaque drôle, à la manière des comédies naturalistes et sociales du britannique Stephen Frears qu’il cite volontiers (époque The Van ou The Snapper, ndlr), mais aussi à certains films de Ken Loach (Looking for Eric dans une certaine mesure mais surtout La part des anges à la fois pour le propos et pour le traitement). Des filiations écrasantes, mais que Louis-Julien Petit arrive à mettre à distance en évitant la simple copie.

Il a déjà commencé à écrire le scénario quand il a décidé d’aller rendre visite à Anne-Marie Costa, cette caissière d’hypermarché qui en 2011 a été accusée de vol par sa hiérarchie pour avoir récupéré un ticket de promotion abandonné par un client. Voir cette personne dans une dynamique positive et une humeur enjouée malgré tout, plutôt que dans la prostration ou la dépression a achevé d’inspirer Louis-Julien Petit pour le ton qu’il a donné à son film, un ton résolument joyeux et optimiste, #solidaire et combatif.

L’histoire est celle de Gilles, Christiane, Alfred, Emma et Momo, ces caissiers d’un hypermarché discount qui sont menacés de perdre leur place afin d’être remplacés par des caisses automatiques. Parmi leurs activités figure la destruction de denrées alimentaires à peine périmées ou en passe de l’être, dans une séquence qui fait froid dans le dos, d’autant plus qu’aucun spectateur n’est à l’abri de participer à un tel gaspillage. Les cinq « amis » s’unissent pour détourner ces denrées du pilon afin de créer un supermarché sauvage super discount, initialement dans l’idée de « se payer sur la bête », puis petit à petit pour être solidaires avec plus pauvres qu’eux.

Cette histoire est attachante, car elle n’est ni caricaturale, ni manichéenne. Elle n’est pas caricaturale, car les personnages sont des français « moyens», normaux, serait-on tenté de dire, des personnes qui ont un boulot, un logement, une vie de famille, mais qui vivent dans la limite de la précarité « malgré » leur salaire à plein temps, mais au smic. Il est seulement malheureux que le choix de la région Nord Pas-de-Calais fige le film dans un cliché dommageable à la fois pour les nordistes et pour le film…Elle n’est pas manichéenne non plus, car on s’aperçoit que tous les personnages, y compris le personnage de Zabou Breitman qui dirige cet hypermarché et qui doit « rayer des noms sur une liste », obéissent à un seul impératif, celui de garder son emploi, au détriment de sa dignité parfois (« si tu acceptes ça , tu accepteras tout » dit un des personnages), et un seul maître : la recherche du profit imposée par les financiers.

Le sourire qui arrive aux lèvres du spectateur n’est pas tant due à des gags au kilomètre (à la manière d’Intouchables par exemple), car les dialogues sont truculents mais pas que, mais réellement à l’énergie positive engendrée par la révolte de cette petite bande, la solidarité donc, la joie des « pauvres » par rapport à cette manne pas chère, la joie des caissiers par rapport à cette illusion de pouvoir qu’ils se sont donné à l’encontre du système. La récupération des fruits et légumes, des jambons et poulets relève quasiment d’un sauvetage… Les personnages ont du plaisir à servir cette histoire et montrent beaucoup de conviction, y compris chez les figurants. Corinne Masiero (Inoubliable Louise Wimmer) frappe juste une fois de plus, ainsi que Pascal Demolon, en passe de sortir de son emploi d’éternel second rôle (tout comme Philippe Rebot l’année dernière).

Habitué à régler les scènes de foule et de figurants, Louis-Julien Petit arrive à faire de ce film fauché un film agréable, qui se laisse regarder, même si ses fermes n’évoquent aucune poésie, seulement la précarité et la boue, contrairement aux mystiques paysages flamands de Bruno Dumont…

Sans être une œuvre magistrale, Discount est un film qui n’inspire que de la sympathie, car comme disait Viviane Forrester dans l’Horreur économique, « Qu’est-ce qu’on fait quand on n’a pas de travail dans une société où il y en a de moins en moins? Que faire dans une société où le travail salarié, l’emploi salarié, est en train de rétrécir comme peau de chagrin? Est-ce qu’on va continuer à dire que la dignité dépend du fait d’avoir un emploi? La dignité, selon moi, consiste à savoir donner un sens à sa vie. ».
Ce que font admirablement les personnages de Discount…
Bea_Dls
7
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le 2 févr. 2015

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Bea Dls

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