Le nom de Paul Thomas Anderson n’est pas forcément familier du grand public, mais parlera beaucoup à un public un peu plus averti, sans, bien sûr, chercher à dénigrer certains spectateurs au profit d’autres. En effet, le cinéma de Paul Thomas Anderson ne demeure pas le plus divertissant, mais s’est imposé comme l’un des plus léchés, humains et rationnels que l’on a pu découvrir ces deux dernières décennies. On lui doit de grands films comme Magnolia et There Will Be Blood, ou, encore très récemment, le superbe Phantom Thread. Il faut, cependant, bien commencer quelque part. Pour « PTA », la réalisation de longs-métrages débute avec Hard Eight, traduit en français par Double Mise.


C’est curieux de voir comment les premiers moments du film ont quelque chose de tarantinesque. Cette rencontre opportune entre un jeune homme fauché et un homme plus âgé et riche, avec cette transmission d’enseignements, passe par de longues séquences fixes basées sur de longs dialogues visant à construire les personnages et le contexte dans lequel l’histoire se déroule. Cette apparition de Sydney, l’homme plus âgé, a ici quelque chose de presque divin. Bienfaiteur, ne demandant rien en retour, il oeuvre dans la volonté de voir John réussir et à recoller les morceaux. On ne sait quasiment rien de ce personnage, son passé est flou, on ne connait pas réellement ses activités. C’est un homme au charisme certain, mais qui semble relativement inoffensif.


Avec ce personnage, et sa relation vis-à-vis de John, se dessine déjà le côté fabuliste du cinéma de Paul Thomas Anderson. On devine, derrière cette intrigue terre-à-terre et ces personnages réalistes, quelque chose de plus allégorique, et des personnifications qui visent à parler de quelque chose de plus grand et universel. Au fil du film, les rouages continuent de s’agrémenter avec de nouvelles pièces, notamment avec Clementine, la jeune femme perdue, et Jimmy, loubard égocentrique. Double Mise présente déjà un tableau de personnages variés, tous soumis à une forme d’adversité, schéma classique des films de Paul Thomas Anderson, pour montrer l’humanité et la vie dans ce qu’elles ont de vrai, et non pas dans ce que l’on voudrait voir d’elles.


Toutefois, les ambitions du film sont vites rattrapées par un dénouement plus terre-à-terre, classique, coupant l’herbe sous le pied du spectateur, et entravant les lectures fabulistes du film. C’est presque trop convenu, limitant un film qui semblait aller quelque part au statut de polar noir correct. Il va sans dire que cela se comprend par la jeunesse du réalisateur, qui n’a pas encore toute l’expérience dont il dispose aujourd’hui, ce qui fait que l’on considérera moins les lacunes que le réel potentiel du film.


En définitive, Double Mise est encore loin de révéler toutes les potentialités du cinéma riche, dramatique et humain de Paul Thomas Anderson, mais il n’en demeure pas moins une amorce intéressante qui permet de mieux saisir les origines de ses futurs films. Il y convie déjà certains de ses acteurs fétiches, comme John C. Reilly et Philip Seymour Hoffman, donnant des repères aux aficionados de PTA, qui ne seront peut-être pas forcément stupéfaits face à Double Mise, mais intrigués et témoins du point de départ d’une très belle carrière.

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le 4 juin 2018

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