Douze Hommes en Colère, moins trois, moins six, moins un
Un film sympathique mais par trop américain. Un gentil, quelques méchants, des sceptiques au milieu, un déroulement prévisible.
Le film a beaucoup de qualités : l'enquête dont les éléments sont distillés au fur et à mesure, une réalisation léchée, certaines subtilités intéressantes quant à la rhétorique, des tensions réalistes et crédibles... Au final, qu'on s'entende bien, il est très divertissant. Les retournements de situation, quoique prévisibles, sont bien amenés et les antagonismes nous intriguent assez pour garder l'oeil ouvert jusqu'à leur dénouement. Mais voilà, au sujet d'un film se concentrant sur douze personnes débattant de la vie ou de la mort d'un criminel supposé, on est en droit d'attendre qu'il soit un peu plus que divertissant.
Je n'ai ressenti aucune profondeur, aucune puissance dans le propos du film, tout simplement parce qu'il ne m'a jamais pris à contre-pied, il ne m'a jamais fait réfléchir. Ce n'est pas son but. Douze Hommes en Colère est en fait un film ancré dans son époque, il voit le cinéma comme le voient la plupart des productions hollywoodiennes qui lui sont contemporaines, comme un spectacle.
Les personnages, disons-le clairement, sont caricaturaux. On distingue clairement trois camps : les gentils, les méchants et les sceptiques.
Le chef des gentils, c'est le personnage campé par Henri Fonda, plutôt bon même s'il n'a pas grand-chose à jouer (les yeux perdus dans le vague par-ci, le regard pénétrant l'âme de son adversaire par-là...) dont le propos se résume à "Les gars, on va quand même buter quelqu'un, on peut en parler 5 minutes non ?", ce qui est par conséquent le propos du film au-delà d'être d'une évidence crasse. C'est le mec parfait, la conscience sociale : il est avenant, respectueux, il ne hausse jamais le ton et pousse le vice jusqu'à consoler son principal adversaire à la fin. Il attaque direct son plaidoyer en citant les origines modestes de l'accusé. Bref, un bon gars. Il est vite rejoint par deux autres personnages : le vieux sage un peu loufoque et le type qui vient lui aussi d'un quartier difficile. Comment ne pas s'attacher ? Pourtant, si on y regarde de plus près, il est irresponsable de retirer la mention "coupable" avant l'argument des lunettes, puisque jusqu'à ce moment-là, et comme l'énonce très bien Mr Cartésien, le principal témoignage n'est pas remis en question, et donc qu'est-ce que ça peut faire que le vieux boîte ou que le couteau coûte 6$ ?
On touche là un des problèmes importants de la narration, car il y a une confusion constante sur la responsabilité des jurés. Plus que des faits, ils jugent des idéologies (et quelle idéologies : faut-il douter ou pas ? sic...) ou plutôt les gens qui les soutiennent. Pour qui voit cette ficelle, il devient alors difficile de voir les personnages autrement que comme des bouts de papiers donnant plus ou moins de poids à l'un ou l'autre camp, et donc de donner du crédit aux revirement d'opinion.
C'est encore plus visible avec le camp du milieu, les sceptiques. On a un festival : les deux qui s'en battent les couilles (pareil, si c'est une critique, je la trouve un peu facile), le geek influençable, le citoyen lambda (et moustachu)... Une galerie de personnages, comme j'ai commencé par le dire, divertissants mais qui n'apportent rien à la réflexion.
Et puis il y a les trois méchants. Enfin pas vraiment, car dans les trois, un seul se démarque, c'est bien l'homme à lunettes. C'est le seul personnage vraiment normal du film en fait, il est face à une affaire en apparence facile, il veut qu'on lui donne une vraie raison de douter. Il connaît sa responsabilité et il ne change d'avis que quand il est vraiment convaincu.
Les deux autres, évidemment, ce sont des connards violents, irrespectueux, ils passent le film à râler et à crier, l'un fait de l'affaire une vengeance personnelle et l'autre est un gros raciste (parlons de racisme social si vous voulez). Finalement, ils sont vaincus par le pouvoir de la tolérance et le gentil accusé qui vient de la banlieue et qui s'est pris des mandales toute sa vie s'en sort indemne. Tout ce bilan manichéen est encore alourdi par le fait que le film donne l'impression tout du long et encore plus lors de son dénouement qu'on est en train de prouver l'innocence du jeune homme, alors qu'il reste plus que probable que ce soit lui qui ait bien tué son père. Mais aucune mesure ne vient rappeler ce fait.
Je le répète, je ne juge que le propos du film, beaucoup trop simpliste et caricatural pour qu'on puisse selon moi établir Douze Hommes en Colère au rang de chef-d'oeuvre. Un film qui aurait dû avoir une vraie ambition sociale, philosophique et rhétorique mais qui se contente d'enfoncer des portes ouvertes... Enfin pas tout à fait, puisque à l'époque certaines portes demeuraient closes. Cet agglomérat d'évidences n'est-il alors là que pour mettre en valeur le ridicule de l'institution de la peine de mort ? Probablement, toujours est-il qu'aujourd'hui, eh ben il fait un peu niais.