On va commencer par le cast comme ça se sera fait. Non je n'ai aucun problème avec Ryan Gosling, ce n'est pas un acteur que j'apprécie plus que ça habituellement mais ici je l'ai trouvé en accord complet avec son personnage. Un style monolithique à l'extrême qui marche et ne m'a posé aucun problème, contrairement à son personnages dans The Ides Of March ou il garde le même jeu, trop excessif pour ce rôle. Justement ce personnage du Driver m'a touché, je m'y suis reconnu, mais ça c'est un aspect plus personnel et qui joue aussi grandement dans ma note. Concernant Carey Mulligan je l'ai également trouvé juste, elle apporte de la fraicheur. Cranston est toujours aussi bon et apporte la petite touche d'humour qui fait toujours son effet et attire facilement la sympathie du spectateur. Brooks bien dans son rôle de business man mafieux et Perlman (avec toujours ce sourire splendide) en caricature du gangster raté rêvant et jalousant la Famille et les italiens qui possèdent le pouvoir. Christina Hendrick est excellente, j'aurais un peu plus de retenu sur Isaac dans son rôle de père taulard, mais rien de méchant.


Le film commence sur les chapeaux de roue, on nous présente le Driver, personnage charismatique au blouson surréaliste. Un mec qui parle peu mais qui impose ses règles, va droit au but, avec lui on ne parle pas pour ne rien dire. Il bosse dans un garage ou il est "exploité" par son pote Cranston qui lui fournit des voitures pour conduire des gangsters en fuite après des casses. Parallèlement à son boulot de garagiste le jour, il est également cascadeur au cinéma, pour les cascades en voiture of course.


On a là un Driver traité sous une forme héroïque, c'est un justicier filmé à travers des contre-plongées extrêmes qui transmettent la prestance du Driver. C'est aussi un cowboy moderne, quand Lucky Luke arrête de fumer et troque sa cigarette contre une brindille, le Driver choisit lui un cure-dent, chacun sa génération. Sa voiture est son cheval, elle est le prolongement de son corps, il répare les voitures comme il poserait un fer sur un cheval. Il roule en permanence, n'est quasiment jamais dans son appartement, d'ailleurs presque vide, il cherche sa place, il cherche à s'installer et vivre sa vie une bonne fois pour toute avec une famille et un foyer. Mais sa nature intérieure, que l'on découvre plus tard dans le film dans une scène qui vient te mettre une petite claque sur la joue tant on est surpris par les mots, revient sans cesse et l'oblige à fuir encore et toujours. Car le Driver est un monstre à l'intérieur, une bête féroce qui dévore tout sur son passage, même ceux qu'il aime. J'ai d'ailleurs pris le film à la manière d'un conte, d'un rêve éveillé, d'une vision fantasmée de La belle et la bête. Ce côté conte est renforcé par une lumière assez irréelle par moment, notamment lors de la scène de l'ascenseur ou la lumière change pour un moment de grâce et que la scène se finit sur le dos du blouson du Driver essoufflé. On observe alors la bête, ce scorpion doré, respirer à travers les froissements du tissu. Absolument magnifique.


En parlant de la photographie, elle est vraiment super classe et très sobre finalement. C'est contrasté, sombre mais coloré, ça reprend les codes couleurs basiques, sodium et cyan, mais y a toujours des petits trucs très judicieux. Par exemple la lumière du feu rouge, ou la lumière qui vient suréclairer spécialement le dos du blouson ou comme dit plus haut la scène de l'ascenseur. Et puis bien sûr les plans magnifiques de la ville à la Michael Mann.


On a donc un justicier sans nom, qui fait corps avec sa voiture, vit la nuit et est protégé par cette dernière. La ville et ses lumières lui permettent de camoufler sa véritable nature, le bandeau noir de Zorro est ici remplacé par un bandeau de lumière créé par les lumières environnantes éclairant ses yeux lorsqu'il est en voiture. C'est un guerrier traditionnel, animal, qui ne se bat que principalement à l'arme blanche. Arme qui est le prolongement de son bras comme on peut le voir lors de la scène dans le club ou il sert frénétiquement sa main sur le manche du marteau.


Il y a beaucoup de scènes ultimes dans Drive, je pense notamment à la "poursuite" de début, à la séquence du braquage et celle de l'appartement, ou bien celle de l'ascenseur. La scène de l'appartement m'a beaucoup marqué, c'est vraiment la première explosion du personnage, c'est là que le monstre qu'il gardait en lui surgit vraiment après avoir fait une petite apparition dans la séquence du restaurant ("Shut your mouth."). On a une grosse tuerie et puis le Driver, le visage tâché de sang, disparait petit a petit derrière le mur en laissant apparaitre par la fenêtre un fond de carte postale avec ses palmiers et son bleu azur. Et le film se calme, le spectateur aussi, tout retombe progressivement dans un silence total à la manière de la respiration du Driver.


Dans le film on a quand même un gros thème qui est traité. La question de l'apparence et la possibilité de la modifier pour cacher sa vraie nature et en laisser transparaitre une autre, bonne ou mauvaise. La complexité du personnage du Driver est traité par le biais de nombreux miroirs et ombres denses. Et une courte scène du film traite clairement de cette question de l'apparence, il s'agit de la séquence ou le Driver regarde un dessin animé avec le gamin.
-T'as repéré le méchant ?
-Ouais.
-Comment tu peux savoir ?
-Parce que c'est un requin.
-Il n'y a pas de bons requins ?
-Non... J'veux dire, regarde-le. Il te semble gentil à toi ?

Pour le Driver, qui au fond est un requin, les apparences peuvent être trompeuses et n'être que des reflets de la réalité, il le sait car il en est la preuve. Mais pour le gosse, et la plupart des gens, les apparences sont la réalité. Carey Mulligan découvre d'ailleurs la réalité lors de la scène de l'ascenseur et elle prend peur car elle fait face à cette dernière, comme si une autre personne se tenait devant elle.


On peut modifier son apparence pour tromper la masse mais on ne peut pas véritablement camoufler sa vraie nature. On peut la cacher mais pas indéfiniment, certains y arrivent plus longtemps que d'autres. Le gosse, tout en portant un masque effrayant, ne nous fait pas peur comme il ne fait pas peur au Driver. Et pourtant qui pourrait dire ce qu'il adviendra de lui en grandissant, pourquoi ne serait-il pas comme le Driver après avoir été témoin de l'agression de son père. On a donc également un questionnement sur l'origine de la violence chez l'homme, questionnement quand même moins poussé que dans le chef d’œuvre de Malick, The Thin Red Line.
Le Driver, en étant cascadeur, tente de se camoufler en permanence par le biais de masques en tout genre. En plus d'une mise en abyme du cinéma c'est là la première preuve qu'il veut échapper à cette nature intérieure qui l'absorbe, lui coupe tous les liens qu'il créé. En allant voir Perlman avec un masque sur la tronche il ne veut pas se cacher pour le tuer incognito, ce qui serait totalement ridicule vu son accoutrement. Il veut seulement se persuader d'un jugement pur et véritable. Il veut pouvoir juger Perlman, en constatant sa joie malgré ce qu'il vient de commettre, sans faire agir cette nature qui le pousserait directement au meurtre. Mais il se voile la face car on ne peut tromper cette force intérieure. Il le tuera malgré tout, un masque n'est pas une barrière entre la réalité qui nous arrive en pleine face et notre moteur intérieur qui nous pousse dans telle ou telle décision.


Vers la fin le Driver demande à Bernie s'il connait la fable de la grenouille et du scorpion. Mais le film coupe avant d'en savoir d'avantage. Voici cette fable:
« Un scorpion qui avait besoin de traverser une rivière, demanda à une grenouille de le mener jusqu’à l’autre rive, sur son dos.
- Il n’en est pas question, répondit la grenouille. Je te connais et je sais que si je te laisse monter sur mon dos, tu me piqueras pour me tuer.
- Mais alors, je vais mourir noyé, répondit le scorpion.
La grenouille finit par accepter, mais alors qu’ils étaient à la moitié du parcours, le scorpion la piqua, lui injectant son venin mortel.
- Mais qu’est-ce que tu as fait, malheureux, s’écria la grenouille. Maintenant, tu vas mourir, toi aussi !
- Je n’y peux rien, dit le scorpion. C’est ma nature.
»
Que dire d'autre à part ce qui a déjà été dit ? On ne peut changer sa nature, quoi qu'on fasse il faut vivre avec. Le Driver est un scorpion, comme Bernie l'est aussi. Et la fin est un combat à mort entre deux scorpions, l'un voulant échapper à cette nature et l'autre en en profitant pour s'enrichir. Deux personnalités différentes à la nature intérieure très proche mais finalement très différente. Et de là nait l'espoir du film, finalement on peut toujours être meilleur que ce que l'on croit. Malgré une fin pessimiste avec ce Driver qui part vers l'obscurité, vers l'inconnu, pour retenter encore et encore d'échapper à cette nature, le film garde une note d'espoir.


Concernant la love story c'est traité le plus simplement du monde. Un véritable coup de foudre sans chichis, sans les habituels trucs cul-cul, là c'est c'est des regards, une main posée sur une autre et un baiser fantasmagorique. D'ailleurs le traitement du sexe chez Refn est vraiment spécial d'après mes souvenirs de ses précédents films. Ici on a aucune scène d'amour mais du sexe sauvage, sale, suggéré par le biais de la séquence du club et des stripteaseuse qui restent figées à observer la scène comme attirées par cette violence. On a d'ailleurs un plan sur le poignet et le marteau tendu au niveau de l'entrejambe du Driver avec une stripteaseuse les seins à l'air en ligne de mire assez significatif... Bref, je ne veux pas vous exciter.
J'ai oublié de parler de la superbe musique, que ce soit les morceaux additionnels (Kavinsky, Desire...) ou la composition de Martinez, tout est parfait.


Durant les scènes de violence le sang part dans tous les sens, éclabousse les murs et le visage d'ange du Driver, c'est un élément incontrôlable. Le Driver ne le nettoiera pas et en restera jusqu'à la fin recouvert de la tête aux pieds, comme ultime témoignage d'une épopée sanglante, d'une tentative ratée de trouver enfin le moyen d'exister.

Edouard_Laire
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le 29 mars 2015

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Edouard_Laire

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