Depuis mon arrivée sur Sens Critique, je n'ai qu'à de rares occasions pris le temps de critiquer des œuvres cinématographiques qui ne faisaient plus l'objet de diffusions dans nos salles obscures françaises. Ainsi cette pseudo-règle imposée par moi même me permettait de ne pas trop m'éparpiller ni d'écrire trop souvent, préférant donner peu d'avis soignés et construits plutôt que d'en rédiger en quantité industrielle telle une usine chinoise bas de gamme. Certains ont la capacité de garder une qualité d'écriture constante, ce qui n'est pas mon cas.
Mais aujourd'hui, une exception s'impose. Elle s'impose car je considère que le long-métrage n'a pas la réputation qu'il mérite et qu'une fois n'est pas coutume, trop de spectateur ont voulu voir en ce film ce qu'ils avaient envie de voir, détournant le propos malin du long-métrage pour se convaincre, que, oui, Du Sang et des Larmes n'était qu'une propagande pro-américaine.


Pourtant, au vu de la bande annonce et son montage désastreux, tout portait à justifier les vives critiques à l'encontre du film de Peter Berg. Fils d'un militaire américain (Marine ou SEAL, on s'en balance), l'ambition clairement affichée par le réalisateur texan (ça non plus ça ne présageait rien de bon...) était de rendre hommage à ces messieurs mort pour leur patrie chérie.
Clairement, le projet puait presque autant du cul que La Chute du Faucon Noir avec lequel il avait beaucoup été comparé.
Cependant, malgré tout ces faits qui n'auguraient rien d'autre qu'une belle merde, un autre contre-balançait avec cette réputation : la filmographie du cowboy.


Ne vous méprenez pas, je ne parle bien évidemment pas de Battleship ou de Hancock mais du Royaume sorti en 2007. Dans celui-ci déjà se trouvait une composante très surprenante venant de Peter Berg et qui va continuer de prendre forme dans Du Sang et des Larmes. Par un montage alterné clôturant le premier film cité, le metteur en scène instaurait le doute chez le spectateur quant à la notion de manichéisme qu'il semblait avoir défini dès le début. En suggérant un rapprochement entre les actions des américains et ceux des islamistes radicaux, Berg jetait dans le même panier les deux camps, chacun nourrit par une haine de l'autre si puissante que la bêtise prenait le dessus sur la sagesse. Ainsi, il ne donnait ni raison aux islamistes radicaux (normal me direz-vous...) mais encore moins aux américains.


Toujours par le même procédé, Peter Berg campe sur ses positions dans Du Sang et des Larmes, mais cette fois-ci n'attend pas la fin pour nous le faire savoir. Dès la séquence du debriefing des militaires quant à la mission à accomplir, le réalisateur texan opère son parallèle en confrontant les regards des soldats prêt à en découdre à ceux des talibans prêt à agir de la même manière jusqu'aux derniers plans de la scène, son aboutissement, où Shah décapite un soi-disant traître alors qu'au même moment un soldat renie par un signe de tête les engagements de l'armée américaine à respecter les droits de la communauté internationale.


Bien que rendant hommage à ces Navy SEALS, Peter Berg ne fait jamais l'erreur de glorifier leur comportement ou leurs idées légèrement borderlines dont Matt Axelson en reste le meilleur représentant. Il se contente de poser un regard neutre sur ces machines à tuer quitte à en révéler les pires travers. Ainsi « Axe » nous est décrit comme un patriote extrême tandis que Mike Murphy représente la droiture et la raison. Il est donc nécessaire de ne pas faire l'amalgame entre les prises de positions des personnages et celles du film (ça en ferait une œuvre schizo dans le cas contraire).
Un amalgame, le long-métrage se permet même d'en casser un lors du dernier tiers du film, nouvelle preuve de son intelligence et capacité à surprendre son spectateur en lui proposant plus qu'un simple spectacle réaliste et viscéral.


Car il est impossible d'évoquer et de défendre Du Sang et des Larmes en omettant sa deuxième heure éprouvante. Peter Berg, alors semblable à un Neill Blomkamp, se fascine pour la dégradation progressive du corps humain et de ses limites physiques. A ce titre, le générique de début, bien qu'extrêmement maladroit dans sa démarche, n'est pas plus un objet de propagande qu'un avertissement quant à ce qui va suivre, justifiant le caractère surhumain de ces hommes plusieurs fois touchés par balle sans compter les différentes blessures engendrées par des chutes. En s'appuyant sur une histoire vraie, Peter Berg a l'occasion de filmer la résistance du corps humain, sa mise à mal tout en s'inscrivant dans un registre réaliste. A mesure que nos quatre soldats s'enfoncent dans les montagnes afghanes, leurs visages se transforment, le sang recouvre peu à peu leurs figures, marquées par les stigmates du combat. La violence de cet affrontement se lit sur ces corps mutilés et défigurés que ne manquent pas de capter le réalisateur à travers de nombreux gros plans. Comme à ces Navy SEALS, rien ne nous est épargné, y compris les filets de sang et de baves crachés par nos soldats peinant à retrouver leur respiration.


Mais parce que même le corps humain d'un soldat sur-entraîné a ses limites, vient le moment ou ce dernier lâche prise. J'espère ne rien vous apprendre en écrivant que la plupart de nos personnages laissent leur vie dans ses hostiles montagnes.
Et après le déchirement physique arrive le déchirement émotionnel pour le spectateur.


Car si la puissance des scènes d'actions provient de son montage et de son mixage sonore nerveux et ahurissants, elle puise également sa source dans tout les enjeux que le long-métrage avait posé au préalable lors de la première heure. Ceux-ci tournent exclusivement autour de ses différents personnages, comme pour American Sniper que l'on avait également taxé de propagandiste, il n'y a pas de volonté de raconter une guerre mais bien le quotidien de soldats au sein de cette dernière. Du Sang et des Larmes est donc un film de personnages avant tout, d'être humains qui n'ont que la fraternité pour faire face à la dureté de la guerre. La complicité entre les quatre soldats lors de cette première partie rappelle celle qui liait Vincent Chase et ses amis dans Entourage (où joue également Jerry Ferrara), non dénuée d'humour mais à l'amitié indéfectible. En découle un sentiment d'extrême camaraderie rendu possible par le formidable quatuor d'acteur, investit tant physiquement que mentalement, charismatique et viril à souhait.


Teintée de mélancolie grâce à la somptueuse photographie de Tobias Schliessler, chaque mort est un pincement au cœur mêlée à la puissante frustration d'assister à la décomposition graduelle d'une famille dont l'on avait assisté au quotidien plusieurs dizaines de minutes avant ça.


N'ayons donc pas peur des mots pour qualifier Du Sang et des Larmes de film de guerre le plus immersif du cinéma, mouchant au passage Ridley Scott et son gerbant Black Hawk Down avec qui il partage finalement que très peu de points communs.
Pourtant, c'est bien le film de Peter Berg que l'on qualifie de propagandiste alors que le réalisateur s'efforce de délivrer un propos ambigu et malin tout en proposant au spectateur l'une des expériences les plus éprouvantes qui soit.


Une claque.

-Icarus-

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