Défamiliariser la guerre : c'était l'objectif obligé pour un Nolan s'inscrivant dans la lignée du film historique. En effet, on la connaît comme le cinéma l'a passée au peigne fin. Alors comment a-t-il fait ? Il a pris le spectateur dans le sens du poil. Puisqu'on connaît si bien la guerre, on ne verra pas d'inconvénient à y être plongé sans préavis ni contexte, n'est-ce pas ?
C'est du moins l'amorce dont il se sert pour démarrer l'histoire de ces soldats littéralement livrés à leur destin, sans contrôle sur lui, ces soldats à qui l'on ne demande rien et qu'on félicite d'avoir "simplement" survécu. Nolan s'épargne l'écriture d'un scénario qu'on aurait eu des facilités à qualifier de complexe (Inception oblige), se permettant en même temps d'évoluer au gré de ses propres motifs. L'eau, l'air, la terre, et puis le feu qui les noit tous ; les couleurs, les formats qui changent, la musique résonnant comme la destinée incoercible de centaines de milliers d'hommes. Le film est rempli de Nolan.
J'ai eu grand plaisir à découvrir qu'il disait de ce film qu'il était le plus expérimental qu'il eût fait. Car je l'ai senti : l'écriture n'était finalement qu'un prétexte à naviguer entre des enjolivements cinématographiques triés sur le volet pour aider à un traitement somme toute très organique. Ça donne au film un certain caractère, quoique ça peine à le sortir du moule de son propre concept art.
Multi-interactif, on hésite à le voir comme magnifique divertissement ou comme vision superficielle des combats de Dunkerque. Est-ce que ce n'est pas lancer de la poudre aux yeux du spectateur que de lui offrir de l'expérimental optimisé pour soi-disant couvrir un drame fondateur de l'Europe contemporaine ?
C'est un débat que je laisserai à d'autres, car j'ai choisi mon côté. Ces cœurs qui battent la chamade sous des visages impassibles, ces soldats qui meurent si près d'officiers ne sachant plus s'il faut voir en eux une armée ou bien des hommes, cette utilisation presque minimale des mots, et surtout le fait qu'aucun militaire Allemand n'apparaît – cette figure décidément trop stéréotypique du film de guerre –, ce sont pour moi les signes d'un film qui sait garder ses secrets. Il n'y en a pas tant que ça non plus puisqu'il a remarquablement peu de niveaux de lecture pour un Nolan, mise à part la superposition très lisible de trois temporalités distinctes. C'est parfait pour le crédibiliser et faire de Dunkerque la juste continuation de mon affection pour le réalisateur.
→ Quantième Art