Plus jamais ça.


J'aurais aimé dire ça en pensant à l'intensité prétendue de Dunkerque, à cette tragédie endurée par des milliers de soldats et j'aurais souhaité vivre, sentir et comprendre le désarroi de ce moment historique. Mais je ne peux pas en dire autant du long-métrage qui en porte le nom. C'est un film amer, froid, sans émotions, dénué de rythme et marqué par des enjeux qu'il ne parvient pas à dynamiter pour lui donner toute l'envergure qu'il mériterait.


Quelle introduction pourtant ! Les balles fusent, éclatent, leur son transperce l'écran mais surtout le corps des soldats français. Une fuite en avant immersive grâce à un travelling percutant et nous faisant suivre de dos ces soldats en mouvement. On y est, dans ces ruelles vides de toute humanité, on le voit ce jeune homme désormais seul contre tous, évitant les balles et ces éclats qui s'invitent sur son visage marqué par la peur. Dès son entame Nolan, sans difficulté et avec la maîtrise qu'on lui connaît, accroche la rétine et nous met directement dans le bain. L'introduction est un modèle d'immersion, et le reste du film aurait dû suivre ce chemin...


Le découpage en trois parties distinctes, proposant des mini-saynètes sous le signe de la survie, est très radical. J'aimerai croire que cette idée de mise en scène est un parti pris intéressant et convaincant pour une partie du public, mais je n'y arrive décidément pas. Nolan se devait de projeter le spectateur en plein milieu du champ de bataille et lui permettre d'en être un "témoin", l'intention est louable, mais l'exécution l'est beaucoup moins à mes yeux. Cette "opération dynamo" est un tournant pour la seconde guerre mondiale et en faisant le choix d'y mettre son spectateur au plus près des acteurs cela aurait pu offrir une expérience à la fois éprouvante et teintée d'émotions... éprouvante, oui, mais dans le mauvais sens du terme et les émotions ne se sont déchaînées que rarement en mon for intérieur.


Les attaques par intermittence à travers trois timelines, ces montées et descentes entre l'horreur et le calme, s'avèrent assez vaines. On attend, longtemps parfois, et quand cela démarre... c'est un coup d'épée dans l'eau. L'action est terne, morose, à l'extrême opposée de ce que j'avais espéré et cela ne m'aurait pas déranger de me plier aux exigences de Nolan si son histoire était, au minimum, divertissante mais ce n'est pas le cas. Dans un premier temps il y a eu beaucoup d'ennuis, j'ai donc laissé le film sur le côté pendant un certain moment et j'y suis revenu pour constater si l'ennui était toujours présent. C'était pire au second visionnage.


Ma déception n'est pas essentiellement dû à l'ennui, sinon j'aurai bien été obligé de fermer mon bec et de laisser les autres en profiter. Mais je croyais religieusement retrouver les prouesses d'antan de notre cher Nolan, celles que j'avais trouvé dans des films comme Interstellar, là où l'aspect dramatique se combinait de la plus belle des manières avec l'enjeu scénaristique, préparant astucieusement le terrain jusqu'à son dénouement final et mettant en exergue l'évolution de son personnage principal à travers le temps. Dans Interstellar, pour continuer la comparaison, il y avait une caractérisation du personnage, la pertinence de sa tristesse résidait dans l'empathie qu'on pouvait avoir à son encontre, car on connaissait son passé, on vivait son présent et on appréhendait son futur. Dans Dunkerque, le sort des personnages m'importe peu, on ne sait rien d'eux, et il peut leur arriver n'importe quoi ça n'a que peu d'impact dans mon système émotionnel, de plus certaines séquences sont assez mal écrites et on y décèle même quelques anachronismes visuels.


Dunkerque tente de surligner l'horreur de son histoire à coups de grandes pompes sonores, la partition de Hans Zimmer est désagréable, irritante et bien trop omniprésente, l'impuissance de Nolan à réussir son drame et à créer de la tension dramatique est dommageable, alors que c'est le cœur de ce projet. Il y a bien sûr cette volonté de bien faire, de proposer un cinéma novateur ou peu commun, je ne le remets pas en cause. Mais il est tellement frustrant de voir un aussi beau nom du cinéma, annoté aux côtés d'acteurs confirmés et sur un sujet tellement prometteur, pour un rendu aussi répétitif et vide, d'un point de vue purement sensoriel. Et je regrette également l'absence de sang, pas une goutte à l'horizon.


La reconstitution est assez exceptionnelle me dira-t-on, les caméras sont ultra-performantes et offrent une précision chirurgicale, la photographie est de toute beauté, mais encore heureux étant donné les gros moyens mis à disposition pour le film, c'était la moindre des choses de la part de Nolan. Mais je persiste et je signe : j'ai l'impression d'être tombé sur un montage avorté, exaspérant pour ce masquage sonore sur des scènes qui n'en méritaient pas tant et les personnages sont des boudoirs sur pattes.


J'attends donc avec impatience "Tenet", le prochain film de Nolan, ce sera l'occasion de me réconcilier avec son cinéma.

Eren
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le 30 avr. 2020

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Eren

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