Si beaucoup se souviennent d'E.T. pour une poignée de séquences restées dans les mémoires tel l'ombre du cycliste passant devant la Lune, peu se rappellent du métrage pour la maîtrise du génial Spielberg derrière la caméra. Il faut dire que gamin, on ne prête que peu d'attention à ce genre de détail, et malgré que le film s'adresse à un public jeune pour ne pas dire enfantin, on parle ici d'un Spielberg des années 80, époque où le monsieur était un cran au-dessus d'une grande majorité de ses confrères.
E.T. est surement l'un des projets les plus personnels du réalisateur. Enfant d'un couple divorcé, la genèse de cette histoire trouve un point d'ancrage dans l'imagination du gamin qu'il est alors. Et l'on retrouve une grande partie de ces thèmes dans le film. Une mère seule qui élève ses trois enfants, un gosse qui fait une rencontre inattendu et noue un lien psychique avec l'alien, et l'ennemi qui grouille tout autour alias le monde adulte que le jeune héros a bien du mal à comprendre. Spielberg ferait presque dans l'autobiographie matinée de fantastique.
Difficile de ne pas y voir l'incompréhension de l'enfant qu'il était alors devant ce monde adulte presque étranger qu'il ne saisissait pas. C'est d'ailleurs la vision des enfants qui prime à tel point que la réalisation en porte les traces. Si l'on omet l'exception de la mère (Dee Wallace, habituée du cinéma de genre) montrée en pleine lumière et seule bouée valable à laquelle s'accrocher pour des bambins abandonné par leur père, on ne verra jamais distinctement le visage des adultes pendant les deux premiers tiers du métrage. Spielberg joue alors avec tout son génie des cadrages, de la lumière et d'un tas d'astuces (les combinaisons d'astronautes, les déguisements d'Halloween) pour amplifier son propos. Les adultes ne peuvent comprendre et ne doivent pas savoir.
L'homme au trousseau de clés est ici montré comme le leader de cette menace, et symboliquement, sera le premier dont verra enfin les traits à la caméra. Mais avec Spielberg, les apparences sont souvent trompeuses et ce n'est pas celui que l'on pouvait redouter le plus qui se révélera être la vraie menace. Le dernier tiers du film sera moins magistrale d'un point de vue mise en scène, le rideau tombant et le métrage entrant dans une dernière ligne droite plus classique, mais tout de même efficace.
La créature, oeuvre de Carlo Rambaldi, une légende italienne des SFX, étonne par sa capacité à prendre vie. On est certes face à un mannequin high-tech, avec simulation de la respiration, les expressions diverses du visage, les grands yeux qui roule et cet aspect semblant sortir d'une bande dessinée de science-fiction d'un autre âge, à l'instar de celle où l'alien dénichera l'idée du SOS. Les jeunes générations rigoleront devant l'évidente artificialité de la bestiole, mais putain, en 1982, alors que le numérique ne fait qu'émerger maladroitement le bout de son nez, réussir à humaniser et rendre vivante et attachante une créature aux formes assez grotesque reste un tour de force en soi.
On n'échappera évidemment pas aux diverses blagues plus ou moins bien trouvées. Une cuite à la bière mémorable, un travestissement par la petite Drew Barrymore, les placements produits pour le pote George et une séquence too much mais illustrant le lien mental entre un Henry Thomas impeccable et l'extraterrestre dans la scène du baiser, avec Erika Eleniak dans le rôle de la fille qui deviendra 10 ans plus tard la bimbo topless sortant du gâteau dans Under Siege avec le constipé Seagal (vous allez plus la voir de la même façon après ça).
On notera la bande-son d'un John Williams dans ses œuvres, se lâchant occasionnellement mais toujours quand il le faut, et laissant la part belle à des thèmes tout en retenue pour tout les moments de calmes.
Peu d'actions, pas un rythme de fou, et pourtant on ne s'ennuie pas, la faute à un perso éponyme qui vous met dans sa poche, mais aussi à un réalisateur qui savait à l'époque faire des films qui mettait tout le monde d'accord. E.T. reste un bon modèle de maîtrise de la réalisation, un film qui a une âme et qui sait happer son spectateur pour peu qu'il ne soit pas réticent. Bitters must die and phone home!