L'idéal de carte postale et la réussite des pays nordiques – la Finlande, pays le plus heureux pour la 4eme année consécutive - cache une réalité brutale et désolante. Mes yeux de française fraîchement débarquée seront pour une fois un pouvoir, le pouvoir de prendre du recul sur un pays qui n'est pas le mien.


Le documentaire de Suvi West tombe à pic dans mon aventure en Finlande. J'y suis arrivée il y a maintenant trois ans, directement à Rovaniemi, « ville officielle du Père Noël », pour un stage de quatre mois dans le cinéma du centre-ville. Début Avril sur le Cercle Polaire, la neige commençait à peine à fondre et la ville était très calme, les finlandais attendant avec impatience l'arrivée des beaux jours. L'été fut chaud, trop chaud, le mercure frisant à maintes reprises les trente degrés, rendant agréablement douce la rivière Kemijoki, dont les eaux rejoignent - à Rovaniemi exactement - celles de l'Ounasjoki, qui prend sa source en Laponie, à 300km plein nord. Des températures certes bonnes pour le cinéma, puisque les finlandais détestent ces chaleurs et que les salles sont climatisées, mais catastrophiques pour l'écosystème sous ces latitudes.


Ayant enchaîné avec un autre stage dans le sud-ouest du pays, je n'avais encore rien vu de Rovaniemi ni de la Laponie en hiver. Désireuse de m'installer dans le pays et profondément attirée par les paysages du nord, j'y suis retournée pour une année afin d'y apprendre la langue et de parfaire mon intégration dans des conditions parfaites. A l'été suivant, je retrouvais donc les forêts immenses et les rubans bleus des rivières serpentant entre les collines et m’apprêtais mentalement à affronter mon premier vrai hiver en Laponie. Mais ni les températures, ni le manque de lumière n'ont entamé mon moral. La cohabitation avec des hordes de touristes venus des quatre coins du monde fut le véritable challenge de cet hiver pourtant raccourci par la crise sanitaire. Rovaniemi, si tranquille en été, si verte et si agréable, se transforme en véritable village-vacance de novembre à février. Les hôtels et restaurants font carton plein, les rues et les chemins sont pris d'assaut par des groupes en combinaison de location, clones aux couleurs des compagnies de safari qui les entraînent tous frais payés à la découverte de la rigueur polaire, bien au chaud dans des minibus.


Point d'orgue à cette dichotomie, à la commission du film de Laponie, entre deux rappels de publication du guide «Sustainable production in Lapland », on se congratule de la réussite en Inde de War, superproduction Bollywoodienne donc une scène de course poursuite en voiture a été tournée sur un lac gelé des environs. Coupes de mousseux et accolades, le film va, pour sûr, attirer de nombreux touristes indiens et ouvre la voie à d'autre productions en Laponie. Ma surprise à rapidement fait place à de l’écœurement. Un an plus tard, sur le site de la commission, War figure toujours dans le top des films tournés en Laponie, aux côtés notamment d'une pub pour Coca Cola. Eatnameamet, ayant pourtant bénéficié bien plus récemment de l'aide de la commission, est relégué au second plan, sans un mot ni une image.


La Laponie en hiver, c'est un folklore made in China – la plupart des souvenirs sont fabriqués en Chine, et la plupart seront achetés par des touristes asiatiques -, un grand spectacle en plastique qui déborde largement sur les réseaux sociaux. A grands renfort de retouches et de filtres en tous genres, on fait miroiter des paysages aussi féeriques qu'inexistants, on se prend en selfie avec des rennes ou des huskies qui figurent déjà sur les stories des trente clients précédents, on vend du rêve.


Or ce rêve a un coût, et le peuple Sami en paie à lui seul les conséquences. La lutte de cette vaste communauté indigène - habitants de la Laponie et dispersés entre la Norvège et la Russie - contre le gouvernement Finlandais est ancienne, mais de plus en plus d'actualité. Tout est dit, dans ce petit documentaire malheureusement peu distribué, des agissements pernicieux des autorités avec le soutien à peine masqué de la justice. Du peuple Sami, on ne sait que peu de choses tant à l'étranger qu'en Finlande. Comme beaucoup d'autres communautés indigènes tout autour du globe, leurs droits sont largement bafoués et leur existence à peine admise, leurs demandes et leurs manifestations sont systématiquement caractérisées comme caprice écolo ou réac. Malgré son apparente exemplarité en matière de développement, d’éducation et d'environnement, la Finlande ne fait tristement pas exception. Entre appropriation culturelle à des fins toutes lucratives – la commercialisation de l'image même du Sami et de leurs traditions - et l'exploitation sans vergogne des ressources terrestres (industrie du bois, minerais..), les investisseurs étrangers s'immiscent sans impunité dans la gestion ancestrale des terres Sami.


Construction de complexes hôteliers, projets ferroviaires... la Laponie est devenue en quelques décennies un territoire de choix. Fiers de leur nation qui a su après-guerre se reconstruire efficacement, les finlandais ont désormais tendance à accorder trop de confiance à cette politique et cette gestion pourtant de plus en plus gangrenée par des projets borderline.

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le 24 mars 2021

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