C’était le film rêvé, en ce qui me concerne. Disons l’une de mes cinq grosses attentes de l’année. Parce que La French touch. Et parce que Mia Hansen-Løve. En seulement trois films, mais trois merveilles, la réalisatrice s’est hissée très haut dans la liste des (jeunes) cinéastes en activité qui me sont chers. Doublant allégrement son homme d’ailleurs. Qui fait pourtant mieux qu’elle cette année. Bref.

Eden est à ce jour son projet le plus fou, le plus ambitieux, le plus excitant et le plus casse-gueule ex-aequo avec Le père de mes enfants – Traiter de la vie et de la mort d’Humbert Balsan n’était pas chose aisée. Et dans le même temps, Eden ne fait que pérenniser ses thématiques et trajectoires : son goût pour les récits elliptiques, le passage du temps, l’errance délicate et mystérieuse jusqu’à l’opacité de son personnage central et une ambiance ouatée débarrassée des tendances romanesques, jusqu’à l’abstraction.

Eden (le titre reprend celui du Fanzine de l’époque) semblait parti pour combiner tout cela à merveille en racontant à sa manière l’histoire d’un courant musical né en France au début des années 90 par le prisme de Paul, ado branché, bientôt éternel DJ se cantonnant à faire du Garage, sorte de mixture entre la house et la disco qui connaîtra de petites heures de gloires (soirées Queen ou Respect) avant de doucement se faire avaler par les diversifications de la musique électronique. La réalisatrice s’est par ailleurs beaucoup inspiré de son grand frère Sven Løve, qui officia dans le courant en tant qu’organisateur et DJ de ces premières raves.

Le film est très déstabilisant puisqu’il s’adapte aux tâtonnements de Paul, le suit et s’accroche à lui contre vents et marées, dans son propre tempo, son instabilité, se cherche, galère et ne va nulle part. Avec le recul je trouve que c’est un parti pris osé et très réussi, cette manière qu’a le film de ne jamais vraiment se perdre, de se rétracter quasi systématiquement sur les flâneries sentimentales du personnage. Eden est un film totalement informe, sans aucune ligne directrice, point de rattache ou de bascule. Il y a quelque chose de Bresson (Le diable probablement) et de Garrel (Les amants réguliers) là-dedans mais sans l’extase ni la sidération.

Mais zéro climax génère-t-il forcément zéro fulgurances ? Je comprends l’idée de ne jamais sombrer dans la pure rêverie ou au contraire de vouloir tout contrôler puisque Paul est à la fois loin de ça et entre tout ça. Mais un moment donné on espère un glissement. Type L’eau froide d’Assayas, auquel on pense énormément. On se met à rêver de suivre ce personnage illuminé et dépressif, le dessinateur Cyril. Parfois, on espère un lâché prise durant l’une des nombreuses soirées danse et ecstasy dans lesquelles le film s’aventure mais ne livre finalement et logiquement que d’infimes instants, jamais croustillants. Il manque le tourbillon. Ce tourbillon qui a aussi manqué à Paul. Au frère de Mia Hansen-Love. Il manque un embrasement de ce paradis perdu d’avance d’un courant mort-né, aux ambitions spirituelles et politiques mais qui restera à jamais qu’un concept usé. Le film fait lui aussi état d’une ambition usée. Après mai d’Assayas aussi, mais il s’en sortait mieux à mon avis. L’ivresse sensitive tant espérée cède le pas à un décalage désaffecté.

Lors d’une trop courte séquence festive en 1995, les Daft Punk testent sur un premier public le vinyle de leur premier single Da Funk qu’ils viennent de recevoir. Grand moment que le film ne saisit qu’à moitié, comme s’il n’osait pas vraiment se jeter dans la gueule du loup, comme s’il craignait d’être dans la pose. Trois autres morceaux du groupe disséminés ci et là de manière différentes les unes des autres, marqueront le passage des époques, autant qu’ils accentueront ce décalage gargantuesque entre le groupe fantomatique qui réussit et le garçon paumé qui ne cesse de ramer. Tout est agencé. Trop. Du coup, zéro émotion, ou presque. J’ai parfois ri et pris du plaisir au milieu de cette asphyxie notamment grâce à Vincent Macaigne qui est génial une fois de plus. Il faut l’entendre dire « Tu as un humour douteux, toi » c’est à se tordre. Le pseudo gag des Daft Punk qui se font recaler par deux fois aux soirées Cheers « Regardez à Thomas et Guy-Man » m’a aussi beaucoup amusé. Ainsi que ce plan panoramique dans le flou sur Within. Mais c’est peu, c’est frustrant. C’est donc une déception. Mais c’est finalement un film que j’aime beaucoup, pour les raisons qui me lient d’affinités avec le cinéma de Mia Hansen-Løve. J’aime sa nonchalance, sa sécheresse. Qui sait, si ça se trouve je finirais même un jour par l’adorer.
JanosValuska
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le 3 janv. 2015

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JanosValuska

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