Le réalisateur Peter Watkins a forgé au fil des années une œuvre singulière dans un style atypique mêlant fiction et documentaire. A l’occasion d’un voyage à Oslo en 1973, il découvre les tableaux de Munch qui le bouleversent. Il apprend par la suite que le peintre norvégien a connu une hostilité constante de la part de ses contemporains. Watkins, lui-même artiste incompris, se plonge alors dans la vie du peintre qui lui inspire un film de plus de trois heures, véritable référence sur le processus de la création artistique.


Munch, le peintre de la mort
A l’instar du célébrissime tableau le Cri, nombre de peintures d’Edvard Munch transpirent le mal de vivre. Un mal-être enraciné dès l’enfance marquée par la mort de sa mère puis celle de sa sœur ainée, toutes deux emportées par la tuberculose. Tout au long de sa vie, Munch sera hanté par le souvenir de ce double traumatisme. Le tableau l’Enfant malade illustre cette angoisse persistante face à « la maladie, la folie et la mort, ces anges noirs, écrira-t-il, qui ont veillé sur mon berceau ». Peter Watkins retranscrit cinématographiquement ces peurs, ces obsessions – angoisse d’abandon, jalousie viscérale… – en reprenant en boucle les images des drames de l’enfance. Comme des motifs picturaux reproduits à l’infini.


Une mise en scène originale
Pour raconter la vie d’Edvard Munch (1863-1944), Peter Watkins opte pour une mise en scène qui lui est familière. Elle consiste en une fausse approche documentaire enserrée au cœur d’un récit biographique. Des personnages, des décors, par ailleurs magnifiquement photographiés, et des faits comme il y en a dans tout biopic. Le film donne notamment à voir comment chaque tableau intervient à des étapes clé de la vie du peintre. L’occasion pour Watkins de brouiller les codes de la narration. Ainsi, les figures qui gravitent autour de Munch se retrouvent-elles interviewées, témoignant comme elles le feraient dans un reportage télé contemporain. Dans le même ordre d’idée, le réalisateur invite ses acteurs/personnages à regarder régulièrement la caméra, faisant voler en éclats le sacro-saint principe du quatrième mur. Il en résulte une proximité aussi troublante qu’efficace. La Watkins touch.


Un film politique
Le film est aussi une charge contre la société conservatrice et puritaine dont le peintre est issu. Cette haute bourgeoisie fin de siècle qui se pavane sur la Karl Johan street et que vilipendent certains intellectuels réformateurs. Munch fréquente notamment les bistrots enfumés d'Oslo où se retrouvent les membres de la Bohème, groupe d’anarchistes emmené par le charismatique Hans Jaeger. Munch y apparait réservé mais attentif, silencieux mais respecté. Peu porté sur les mots – on ne l’entend guère – il s’en tient à la peinture comme arme de subversion, proposant une vision hallucinée de la condition humaine que rejetteront en bloc toutes les galeries et académies de peinture de la vieille Europe. Un aveuglement qui en dit long sur la modernité de Munch bien avant le surréalisme qu’il préfigure à maints égards.


Quand cinéma et peinture conversent aussi subtilement on ne peut que se réjouir. Un film et un réalisateur à découvrir.


8/10


Critique publiée le 23 mai 2021 dans la rubrique "classiques" du MagduCiné

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le 28 mai 2021

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