L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond mais maladroit dans son écriture.


Même pas peur !
Les Wilson, un couple et leur deux enfants, viennent s'installer pour quelques jours dans leur maison de vacances. A peine arrivés ils sont pris à partie dans leur propriété par une famille qui leur ressemble étrangement. Or Adélaïde, la mère, garde depuis son enfance le souvenir terrifiant d'une rencontre avec son propre reflet. Dès les premières scènes, Jordan Peele semble nous dire : vous voulez un film d'épouvante ? vous allez voir ce que vous allez voir ! Un long zoom arrière à la Kubrick, un clin d’œil au Thriller de Michael Jackson et des personnages masqués/fringués façon Michael Myers, le premier quart d'heure donne le ton. Ajoutez à cela une bande son anxiogène et une histoire qui lorgne autant du côté des clones de Body Snatchers que des home invasions et tous les ingrédients semblent réunis pour faire prendre la sauce à frissons.  Mais à multiplier les références horrifiques, le film de Jordan Peele ne parvient finalement jamais au but annoncé : faire peur. Ou du moins jamais très longtemps. C'est même l'inverse qui se produit : au fil d'un scénario qui ne manque pas d'humour et de personnages frisant parfois le ridicule, on rit en fait bien plus qu'on ne s'effraie. Le film est-il mauvais pour autant ? Non.


Thématiques croisées : pierre - club - ciseaux
Non car le réalisateur a su tirer le meilleur de cette histoire de doppelgänger en déroulant tous les fils thématiques possibles. Ainsi du thème du dédoublement qui affecte autant les personnages que certaines scènes elles-mêmes. Ainsi des miroirs, très nombreux, de la gémellité des voisines, ou de la construction axiale de certains décors. Autre récurrence, le corps entravé. Limite du langage chez la gamine, frappée de mutisme. Entrave à la locomotion pour le père réduit à ramper devant son propre double. Les menottes enfin, objet particulièrement récurant, qui renvoient symboliquement à la condition des Noirs via la question de l'esclavage ou des violences policières contemporaines. Violence par ailleurs soulignée par l'accumulation d'armes de toutes sortes : ciseaux, club, tison... Us s'éloigne ainsi du film d'horreur à proprement parler pour ressembler davantage à un film sociologique voire politique. Et c'est sans doute sa dimension la plus intéressante.


Un apologue : lutte des classes
Depuis les films de SF des années 50 jusqu'aux zombies de George A. Romero, on sait que le cinéma fantastique n'a pas son pareil pour illustrer métaphoriquement les problématiques sociétales contemporaines. Qu'il s'agisse de dénoncer les menaces du péril atomique, du communisme ou du consumérisme, les méchants portent toujours en eux une volonté de remise en cause de l'ordre établi. Jordan Peele abandonne ainsi la dialectique Blancs/Noirs à l'œuvre dans Get Out pour celle de la lutte des classes. Certes la famille Wilson est noire mais ce n'est pas tant la couleur de la peau qui compte ici que celle de l'argent. Car à l'instar de leurs voisins, les Wilson cumulent les signes extérieurs de l'American way of life (le U.S du titre). Au grand dam des "autres", parés du rouge de la révolte et spoliés de leurs droits. C'est dès lors le peuple des ombres contre celui de la lumière, les bannis des profondeurs contre les nantis des hauteurs. Un affrontement dialectique déjà maintes fois rencontré au cinéma (Metropolis, La Machine à remonter le temps, M le maudit). Un combat mené par deux reines - non pas noire et blanche mais blanche et rouge comme dans le texte de Lewis Carroll (De l'Autre côté du miroir, avec un clin d’œil au lapin blanc d'Alice), et porté par l'impressionnante composition à deux têtes de Lupita Nyong'o.


Un film maladroit mais intéressant, magnifié par une excellente bande originale et une photographie de grande qualité. A découvrir.


Personnages/interprétation : 7/10
Histoire/scénario : 6/10
Réalisation/Musique/photographie : 8/10


7/10


Critique originale publiée sur Lemagducine

Theloma
7
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le 21 mars 2019

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