Un thriller politique au cinéma !
En voilà une idée qu’elle est bonne ! Parce que l’air de rien, autant cette dernière décennie a été riche en la matière dans le monde des séries (« Borgen », « House of Cards », « Baron noir »), autant le monde du long-métrage nous a un petit peu laissé sur notre faim ces derniers temps.
Certes, on a bien eu quelques biopics (je pense notamment aux récents « Les heures sombres » et « Vice »), voire des thrillers qui traitaient indirectement de questions politiques brûlantes (dernier excellent exemple en date : « L’Insulte » de Ziad Doueiri), mais ces derniers temps, moi je n’ai pas le souvenir d’être tombé sur de vraies fictions qui prenaient pour principaux protagonistes de bons vieux politicards.


Et pour le coup « El Reino » a le mérite de bien mettre les pieds dans le plat.
Du début jusqu’à la fin, ce film trempe dedans. Son sujet est d’ailleurs autant la politique que les politiques. Alors après je me doute bien que ce genre de description en rebutera peut-être certains d’entre vous, notamment ceux qui s’imaginent déjà un film aussi captivant qu’un débat de trois heures animé par Nathalie Saint-Cricq.


Pourtant ce serait se faire là une bien belle fausse idée de ce qu’est vraiment cet « El Reino ». Parce qu’en termes de thriller, ce film il se pose quand même là.
Dès les premières minutes, le train est déjà lancé à toute vitesse.
Musique très pulsante. Plans serrés, caméra au poing.
Cadrages pertinents et très dynamiques.
Usage savant du cut, permettant des ellipses qui stimulent le rythme…
Ce film est incontestablement nerveux.
Et même si je ne suis vraiment pas fan de l’usage de la caméra au poing sur des plans fixes, je me dois néanmoins de reconnaître qu’il y a un vrai savoir-faire dans la mise en scène de Rodrigo Soroyogen.
Elle est pour moi le véritable point fort de ce film…
Tout comme elle est également son point faible.


Point fort d’abord parce que le rythme de l’intrigue est vraiment soutenu et maitrisé. Il y a un vrai art de l’élagage, de la respiration et de la redynamisation régulière par la musique. C’est ni trop ni trop peu. Je trouve que Soroyogen a su trouver un très bon équilibre entre « suffisamment nerveux » et « pas trop boursoufflé ».


Seulement, cette mise en scène est aussi un point faible car plus le film se déroule et plus celle-ci dénote parfois avec son propre sujet. Pourquoi le choix d’une musique techno pour des délinquants en cols blancs ? Pourquoi ne pas adopter des cadres plus posés pour les moments et les lieux qui le sont ? (La scène dans le bar avec Alvarado est d’ailleurs la seule qui rompt vraiment avec cette logique et c’est pour moi la meilleure de ce film.)


A dire vrai, au bout d’un moment le problème ne devient plus la réalisation en elle-même mais plutôt la relation qu’elle entretient avec son intrigue. A trop vouloir pulser dans tous les sens – ce qui apporte certes une frénésie vraiment appréciable – le film s’emballe parfois sur des aspects de son intrigue qui auraient mérités plus d’insistance afin d’apparaître plus concrets et cohérents. Parce qu’autant je trouve très intéressant et très pertinent qu’au départ le film jette le trouble sur l’identité réelle de ces sans-gênes qui se vautrent dans le luxe, au point qu’on les prenne pour des mafieux, autant je regrette que la confusion de ces identités n’ait pas été entretenue sur le long terme en mobilisant davantage l’image conventionnelle du politicien.


Lopez-Vidal et toute sa clique n’apparaissent jamais sous les oripeaux habituels du politicien que nous connaissons tous. D’ailleurs, à aucun moment on ne voit vraiment ces politiciens faire ou parler de politique. A travers la caméra de Rodrigo Sorogoyen, tout ce petit monde ne reste qu’une bande de criminels sans foi ni loi, voire même sans jugeote.


Par exemple, difficile de justifier sur le long terme l’action de Lopez-Vidal. Tout ce qu’il fait, il le fait pour sauver ses miches personnelles. Il veut faire chanter son parti pour obtenir une porte de sortie honorable. Sauf que cette porte de sortie, sa présidente de parti lui a déjà offerte en début de film ! Pourquoi ne l’a-t-il pas saisie ?! Certes c’est un magouilleur mais c’est aussi un politicien ! Se lancer dans cette vendetta suicidaire pour obtenir ce qui est déjà acquis ça n’a strictement aucun sens !


D’ailleurs, à vouloir tout miser sur le thriller, la tension et la vitesse, ce film en oublie trop souvent de creuser son sujet.


Ainsi apprendra-t-on à la fin qu’en fait tout le monde trempait dans les magouilles depuis le début, mais vu qu’on ne sait jamais rien de cette affaire, qu’on ne nous montre jamais les personnes visées, et surtout vu qu’on ne nous les incarne jamais comme des politiciens, le propos tourne un peu à vide.


Au final on se retrouve davantage avec un film de gangsters plutôt qu’avec un vrai thriller politique. Alors certes, ça ne lui retire pas ses qualités intrinsèques de thriller, mais par contre cela fait clairement tomber la portée de la conclusion.


En soi, je trouve excellente cette idée qui consiste à montrer que le système parvient à s’autopréserver coûte que coûte. Néanmoins, non seulement je trouve cette fin peu crédible (Comment espérer que personne dans l’opinion publique ne réclame ces carnets par la suite ? Comment s’imaginer que Lopez-Vidal ne les balance pas sur le net juste après l’émission ?), mais en plus je trouve qu’elle ne parvient pas à prendre l’ampleur de ce qu’elle entend dénoncer. Dans un film où les politiques n’apparaissent jamais comme des politiques, l’attaque lancée contre eux ne porte pas. Elle n’est qu’une idée. Elle ne parvient pas à se transformer en réalité incarnée.


Alors du coup, forcément, je ne peux m’empêcher d’être frustré face à ce film. Parce que quand je le compare à ce que des séries comme « Borgen » ou « Baron noir » arrivent à nous dire et à nous montrer de la politique, forcément je trouve que cet « El Reino » passe à côté de son sujet et ne conscientise finalement pas grand-chose de son sujet.
Au fond, il résume sa démarche à un simple « tous pourris » très primaire parce que peu/pas développé dans ses formes et ses ramifications, ce qui va, de mon point de vue, à contre-sens de ce qui semblait être recherché.


Mais bon, d’un autre côté reste le thriller échevelé. Et malgré la frustration d'avoir l'impression d'assister à une sorte de simple jeu d’esbroufe, il faut avouer que, sur ce domaine là, « El Reino » fonctionne quand même plutôt bien. Donc l’un dans l’autre, ça reste quand-même un spectacle que j’ai trouvé agréable cet « El Reino ».
Et peut-être d’ailleurs que ça saura donner des idées à d’autres.
Qui sait ? Espérons…

Créée

le 21 avr. 2019

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