Critique de El Reino par Margot-atwa

⚠Attention, je te conseille de ne pas lire cette analyse qui regorge de spoilers si tu n'a pas encore vu le film. Et je t'invite de ce fait à corriger cette erreur dès que possible!⚠


Sortant du cinéma avec une incroyable envie d'écrire une critique à propos de ce film (malgré les partiels que je devrais réviser), c'est depuis la bibliothèque universitaire de ma fac que j'ai décidé de commencer cette dernière (aaah, la bonne vieille méthode de «je suis dans la B.U donc je travaille»…).


«El Reino» est un thriller espagnol réalisé par Rodrigo Sorogoyen, que je connaissais déjà grâce à «Que dios nos perdone», également vu au cinéma pour ma part, et dont je garde un bon souvenir.


Pourquoi parler de ce film aujourd'hui? Parce qu'à défaut de ne pas tout avoir compris en sortant de la salle (je l'avoue, et ne pense cependant pas être la seule), ce dernier à laissé un certain impact sur moi.
Premièrement, celui d'un film qui semble se vouloir assez flou, et qui laisse au spectateur le soin de replacer avec Manuel Lopez Vidal, personnage principale, les «pièces du puzzle».

A travers une mise en scène très fluide, nous, spectateurs, nous sentons en effet embarqués avec Manuel, afin de répondre aux nombreuses questions que nous pose le film: Pourquoi Manuel est-il le seul à encaisser les fautes de ses collègues? Qui est le véritable fautif concernant cette affaire dans laquelle il est le seul accusé publiquement? Et par dessus tout, qui s'avère être réellement le traître?
Face à ces question un seul mot semblerait efficace à résumer la situation ainsi que le contexte politique du pays: corruption.


En effet,


Manuel réalisera finalement que tout l’État espagnol, et non pas seulement son équipe font parti des ennemis.


Et c'est là que le film est intelligemment conçu et clair sur ce qu'il veut nous dire: Manuel, qui se retrouve en effet prit dans cette vague et qui subira pour conséquence de payer pour tout le monde aura toujours une seule et obsessionnelle ambition: paraître.


Cela peut s'interpréter à mon sens de deux façons différentes: dans une première option comme une critique concernant la vie d'un politicien, qui nous rappellerait également le souhait de ces derniers, ainsi que leur engagement à adopter un mode de vie dans lequel ils n'auront sûrement jamais de véritable ami au sein de leur travail, et dans lequel leur famille sera toujours considérée en second plan.
Ou bien une simple peinture du siècle actuel au sein duquel le monde du travail rime avec faux semblant, et qui se tournerait donc vers une façon plus générale d'aborder ce dernier.


En effet, malgré ce sentiment de révolte qu'il devrait éprouver envers toute cette corruption (l'homme se justifie d'ailleurs à de nombreux moments ne disant vouloir «que la justice»),


le personnage principal va sombrer dans son propre orgueil, et chercher absolument à prouver qu'il n'est pas à la tête de cette affaire, au lieu d'écouter ses collègues et de se faire discret quelque temps afin de récupérer son poste par la suite, le scandale une fois terminé.


Ainsi le film questionne le spectateur: Manuel, terriblement naïf, et pour qui le métier de politicien n'est définitivement pas fait, est il réellement «celui qui à tord?»
Est-ce nécessaire d'aller jusqu'à perdre tous les éléments fondateurs de notre vie actuelle (


dans le cas de Manuel son travail et sa famille


) afin de rétablir la vérité,


et par ailleurs une vérité que contrôlent les quelques partis ligués qui dirigent l'Espagne?


C'est donc une approche intéressante de la notion de vérité qu'aborde «El Reino», notion par laquelle j'avoue être personnellement assez obsédée, et qui m'a donc permis d'apporter quelques compléments aux questions personnelles que je me posais vis-à-vis de ce thème. Cependant la réponse à la question précédente ne peut-être que personnelle car propre à chaque spectateur.
Et cela est aussi intéressant car signifiant que le film sera synonyme de débats, et qu'il restera donc par la suite quelque chose à retenir de ce dernier.


Le film aborde également le thème de la bourgeoisie sous un angle ingénieux, celui du quotidien.
Et ce dernier est fortement lié aux faux semblants évoqués un peu plus haut dans la critique.


Les scènes tournées au moment du dîner témoignent de cette fausse amitié presque malsaine instaurée entre les membres du parti politique.
Ces «amis» se montreront par ailleurs détestables envers Manuel lorsqu'il sera accusé, aucun d'eux ne montrera un minimum de soutien, malgré une différence d'acte propre à chacun (certains évitent Manuel, d'autres deviennent agressifs envers lui…).


Le réalisateur poussera la chose encore plus loin en imaginant un personnage principal voulant quand-même que l'on éprouve une certaine considération envers lui malgré le rejet de ses collègues, et qui vivra donc très mal cet éloignement soudain de la part de ces derniers, qu'il semblait naïvement considérer comme des amis.
Cela durera d'ailleurs pendant la totalité du film, et ce n'est qu'à la fin, quand Manuel sera complètement dépassé par les événements (lors de la scène finale de l'interview) qu'il semblera mettre toutes les chances de son côté, étant pris au dépourvu par les questions de la journaliste (dont nous reparlerons plus bas).
Malgré le fait que Manuel sache qu'il est en direct, et donc minutieusement écouté par des millions de spectateurs en quête de vérité, il ne cherchera pas à être considéré, mais plutôt à dévoiler tout ce qu'il sait afin d'être en paix avec lui même, et donc purement par orgueil.
(Encore une fois, cette scène est très intéressante car le réalisateur à souhaité montrer le non-manichéisme du monde des médias, dans lequel Manuel et la journaliste essaient de défendre leurs propres intérêts, et exposent tout deux des arguments crédibles et intéressants, ce qui permet au spectateur de réaliser qu'il est finalement dur de choisir qui est en tord et qui ne l'est pas).


A propos de manichéisme, un autre point fort du film et qui semble être assez récurent chez Sorogoyen et bel est bien les nombreuses facettes dont dispose chaque personnage, qu'il soit principal ou non.
Le réalisateur a donc prit soin d'imaginer des personnages fidèles à l'image de la société actuelle, ce qui amplifie l'aspect «documentaire» du film.
Tout comme dans «Que Dios Nos Perdone», chaque personnage ayant un comportement de salopard peut tout aussi bien être compris par les spectateurs, et peut-être même pour certains les toucher (le non manichéisme étant parfait dans la notion d'identification à un personnage).
De ce fait, chaque acte a du sens, car il est effectué dans le propre intérêt de celui qui le fait.


Cependant, «El Reino» dispose aussi de quelques points que j'ai jugé comme étant négatifs. Pour commencer, comme il est précisé dans de nombreuses critiques que j'ai pu lire auparavant, le flou dans lequel le spectateur est volontairement placé fût pour ma part assez déconcertant: l'accumulation de plans rapides, de nombreux personnages, et cela sans aucune explication (le film débute directement dans le quotidien du personnage principal au sein du parti politique) s'est malheureusement avéré être un frein à la compréhension de ce dernier, et sûrement à l'assimilation de messages véhiculés par le réalisateur, ce qui est regrettable. (Par ailleurs la lecture de vos critiques fût nécessaire, m'ayant apporté de nombreuses explications ainsi que de nombreux compléments).


Certaines personnes se sont également plaintes de la longueur du film ce qui n'a pas été problématique de mon côté.
Le film est certes assez long mais utilise chaque détail, chaque scène, et chaque dialogue de façon efficace.
Je ne me souviens pas avoir décroché à quelconque moment, ce qui semble donc être une réussite, ayant personnellement tendance à avoir de sérieux problèmes de concentration.


Le dernier défaut, et pas des moindres, est celui de trop nombreux éléments paraissant invraisemblables, voire même complètement naïfs.


Il paraît peu crédible que le personnage principal ait réussi à s'en sortir intact pendant toute la durée du film, et certaines scènes comme celle du micro volé par son propre «collègue», qui accompagnera la descente aux enfer du personnage principal n'est clairement pas assez subtile dans le sens ou elle est trop prévisible.
En effet, en créant un personnage basé sur le besoin d'exister aux yeux des autres, quitte à se blesser lui même, ou à faire fuir son entourage proche, il est indéniable que Manuel s'en sort beaucoup trop bien, d'autant plus dans un pays basé sur un processus de corruption. Cependant, ces détails sont relativement peu importants car inclus au sein d'un scénario beaucoup plus probable.


Finissons donc avec la fin,qui fût jouissive pour ma part, car comme je l'attendais (je me souviens d'ailleurs m'être faite la réflexion suivante: «si seulement le film se coupait maintenant, ce serait parfait»). Il semblerait donc que le réalisateur ait entendu mes paroles.


Le film se termine en effet à l'image de son entier déroulement: basé sur un paradoxe.
Ce paradoxe étant sa constitution à la fois brutale et parfaitement contrôlée (je ne voyais personnellement pas de meilleure fin possible).
Cette scène confirme l'ambition concernant la réflexion du spectateur de la part de Sorogoyen, car c'est bel et bien sur une question posée par la journaliste que ce dernier ce conclut.
Question qui est donc, tout comme l'enquête, adressée à la fois à Manuel et au public qui se trouve dans la salle de cinéma.
El Reino se revendique donc comme problématique et créateur de débat comme j'ai déjà pu le suggérer plus tôt.
Malgré un grand flou concernant l'histoire dans sa globalité, mais aussi certains personnages (que l'on peu par exemple confondre à cause des complications à suivre), le réalisateur reste très cohérent concernant ses revendications mais aussi l'envie de créer un film dont il restera quelque chose une fois sortie de la salle.
Succès pour ma part, car cette envie a engendré chez moi beaucoup de questionnements, mais aussi une grande envie de vous encourager à aller voir ce film, essayer d'y participer du mieux que vous le pouvez, mais surtout, et cela aussi car le cinéma peut continuer d'exister grâce aux débats et à l'intérêt que l'on y porte, à en parler autour de vous.

Margot-atwa
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le 16 mai 2019

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