Un peu comme Vice, le film s'apparente souvent à un film de gangsters. Certains plans-séquences font penser à Scorsese. La comparaison avec Vice ne s'arrête pas là. El Reino pose aussi la question au spectateur de son attitude vis-à-vis de la réalité du monde qui l'entoure. Est-ce qu'il préfère se vider la tête, à l'image de ces jeunes défoncés qui occupent une maison en Andorre dans la seconde partie du film? Ou analyser le monde dans lequel il vit, ainsi que l'attitude de ses dirigeants?
C'est l'histoire d'un politicien corrompu qui finit par se faire attraper, vendu par un de ses proches. Sûr de tomber, et abandonné par les cadres de son parti (parti dont jamais le nom n'est donné, assurant au film une portée qui transcende son contexte temporel et national), il décide de revêtir à son tour le costume du mouchard, bien décidé à faire tomber tous ces traîtres, aussi vendus que lui.
Pour cela, il s'adresse à une journaliste intègre cherchant un scoop pour faire décoller sa carrière, et à un politicien droit, et engagé dans la lutte contre la corruption.
S'écartant toujours plus de la légalité au fil de ses échecs, le personnage principal finit par pénétrer dans une maison en Andorre, cherchant des documents prouvant ses accusations, dans une scène d'une extraordinaire tension. Tension qui ne retombera pas avant le générique de fin. Tentant de rejoindre Madrid en voiture, afin de délivrer ces documents aux deux personnes qui l'ont aidées, on tente d'assassiner le héros, qui, sorti indemne, découvre que c'est le politicien anti-corruption qui est l'instigateur... car oui, le nom du politicien figure sur les documents compromettants... Le lien entre ce politicien et la tentative de meurtre est montrée plutôt que dite (on a affaire à une mise en scène, et le spectateur n'est pas pris pour un imbécile); le lien étant la bouteille d'alcool trouvée à bord du véhicule de l'assassin.
Reste alors la journaliste. Sur le plateau de télévision, prêt à montrer les documents à la caméra, le personnage principal se heurte à la machine médiatico-politique, et dénonce cette collusion des propriétaires des groupes médiatiques avec les milieux politiques: la journaliste centre son émission sur son interlocuteur, lui intentant un véritable procès, au lieu de montrer les documents et révéler les noms présents sur les documents. Le film se termine sur une attaque moralisatrice d'une journaliste qui semble avoir transcendé ses intérêts et ceux de ses employeurs (se traduisant dans la mise en scène par le retrait de l'oreillette) pour interpeller l'homme politique, non en tant que journaliste, mais en tant que citoyenne. Le film s'achève donc sur une question, à laquelle aucune réponse n'est apportée. Le but était à mon avis de contrebalancer la charge du personnage principal contre le système politico-médiatique par un rappel au spectateur que ce même personnage avait profité, des années durant, de ce système (chose que le personnage a déjà confessé peu auparavant, je vois donc mal la nécessité d'en ajouter une couche). Petite lourdeur finale donc, qui, je l'avoue, m'a un peu déçu...
Le personnage finit donc seul, ayant voulu faire face à l'énorme machine politique espagnole, s'efforçant d'en dénoncer les travers, devant la caméra, face à des millions de personnes, sans personne pour écouter ce qu'il a à dire...
Un film exceptionnel, dans la lignée de Vice. Un divertissement de très haute qualité, puisqu'il instruit en même temps qu'il "amuse".