Deuxième film de la trilogie mortifère de Gus Van Sant Elephant est un objet filmique peu commun, remarquablement monté et réalisé par l'auteur de Will Hunting. Récompensé d'une Palme d'or au Festival de Cannes 2003, souvent commenté et analysé dans les écoles de Cinéma du monde entier Elephant doit son nom énigmatique au non moins formel Elephant de Alan Clarke, moyen métrage d'une rigueur technique absolument fascinante montrant avec une froideur clinique une série de meurtres inexplicables et inexpliqués. Van Sant reprend l'apparat visuel du film de Clarke, filmant son drame au gré de nombreux travellings tournés en Steadycam pour mieux conférer à son dixième long métrage une étonnante fluidité... tout en ajoutant une multitude de symboles à sa réalisation, empêchant de réitérer la désincarnation volontaire du Elephant de Alan Clarke.


Elephant est un film plastiquement superbe, rendant gloire à une certaine esthétique arty de l'adolescence. Adoptant un point de vue singulier sur le drame de la tuerie de Columbine en 1999 Gus Van Sant concentre son récit sur l'heure précédant le massacre, dilatant l'espace-temps et le déclinant par le biais d'une douzaine de personnages. Le cinéaste joue énormément sur le fétichisme, magnifiant avec impartialité ses comédiens non-professionnels en épousant leur silhouette et leur visage via une caméra aérienne, flottante, quasiment liquide. La structure formelle de Elephant conjugue de somptueux plans-séquences à un montage très ingénieux recomposant le temps et l'espace des divers adolescents du métrage : ellipses, flashbacks, flashforwards, répétitions et étirements temporels... Un sommet de grammaire narrative au service d'une tragédie mâtinée de spleen et de mélancolie.


Malgré sa virtuosité cinématographique incontestable Elephant demeure un tantinet léger sur le plan psychologique. Si le naturalisme de la mise en scène et la symbolique de la direction artistique témoignent d'une remarquable beauté et d'une séduisante audace la dimension explicative du comportement des deux tueurs restent bien trop sommaire pour convaincre, faisant passer Van Sant pour un psychologue de comptoir un brin ridicule. Le réalisateur aurait gagné à éviter l'écueil de la démonstration psychologisante, devenant qui plus est très réducteur et limité dans ses intentions réflexives. Hormis ce regrettable défaut Elephant reste un véritable chef d'oeuvre de mise en scène, joliment poseur et empathique à voir absolument. Un classique.

stebbins
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le 20 nov. 2018

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