Gus Van Sant s’attaque avec Elephant à un sujet, on le sait, difficile. Il affronte cette difficulté apparente en la morcelant, littéralement.


Film choral retraçant le quotidien de quelques adolescents dans un lycée de Portland, Elephant est composé de plusieurs chapitres correspondant chacun à un personnage comme autant de destins possibles à explorer. Van Sant malmène, par ce choix même, les conventions du genre auquel il s’apparente, le teenage-movie qui tend à la profusion des sentiments et à l’inattendu. Les adolescents chez Gus Van Sant sont éminemment mélancoliques, peu enclins à la parole et s’ils le sont le filmage, par sa rigueur sans concession, les prive du moindre affranchissement du cadre, synonyme d’événement pur. Nous pensons notamment à la scène du débat filmé en lent travelling circulaire si bien que nous ne pouvons distinguer immédiatement celui qui parle. C’est évidemment par la mise en scène que se révèle le projet véritable de Van Sant. De longs plans-séquences, en suspension, tissent un lien intime entre le spectateur et le personnage, complètement identifié par et au cadre. La longue focale, de plus en plus présente au cours du film, dépeint un monde qui tend à l’abstraction, aussi du lien des adolescents avec celui-ci. Certaines scènes en étant rejouées plusieurs fois selon le point de vue de chaque personnage ne disent au fond que cela, l’impossibilité de faire liant par le montage. Plus que jamais, il est question de cinéma de la bulle en cela que celui-ci implique une négation absolue du hors-champ.


La volonté (ou l’obligation) de trouver une causalité rationnelle à l’acte final des deux adolescents correspond au moment faible du film. Envisager une réflexion classique, c’est ne pas concevoir que les adolescents de Gus Van Sant entretiennent un rapport autre au monde d’où peut-être l’importance des ciels qui ouvrent et ferment le film, moyen d’inscrire le récit dans un tout qui le dépasse.

Sordi
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le 1 févr. 2019

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