Le temps qui passe, se fige, s’accélère. Là est l’essence du film car si on voit le cinéma comme un travail sur le temps et l’espace, les films de Wong Kar-wai s’apparentent à du pur cinéma. Ici des lieux récurrents, les divers appartements comme autant de mondes distincts. Dès lors, il s’agit pour les personnages d’investir et d’occuper ces différents mondes et donc la vie de leurs habitants, la durée importe peu. Ils ont ceci de commun qu’ils veulent vivre chaque relation pleinement, jusqu’à l’épuisement parfois.


Parmi eux se détache Yuddi (Leslie Cheung) sorte de Don Juan contemporain. Pour lui l’instant est roi, c’est une minute que l’on immortalise comme symbole de la rencontre. Il s’agira de faire le bilan à la fin : « Je vais aimer d’autre femmes. Je saurais laquelle j’ai préféré qu’à la fin. » Il n’est pas dupe quant au devenir de chaque relation. Pourquoi cette quête absurde alors ? Camus apporte une réponse dans le Mythe de Sisyphe : « Ce n’est point par manque d’amour que Don Juan va de femme en femme. Il est ridicule de le représenter comme un illuminé en quête de l’amour total. Mais c’est bien parce qu’il les aime avec un égal emportement et chaque fois avec tout lui-même, qu’il lui faut répéter ce don et cet approfondissement. »


Nos années sauvages. Le titre qui induit la légèreté de la jeunesse pourrait autant définir Yuddi que sa mère adoptive. C’est bien la quête d’identité qui les unit, on pense à ces nombreux plans devant le miroir jusqu’à ne plus savoir si on filme le sujet ou son reflet. L’une souhaite retrouver une jeunesse perdue et l’autre est à la recherche d’un passé qui lui sera refusé. La recherche perpétuelle d’un ailleurs. Ici les Philippines ou la Californie dans Chungking Express. Pour Yuddi, la fin du voyage sera la mort dans le train, en mouvement. Mouvement par ailleurs annoncé dès le début avec ce travelling sur la forêt.



Tout s’arrange avec le temps



S’agit-il de sombrer dans la noirceur tragique ? Rien que pour ses brefs moments de joie et de symbiose filmés avec une grâce et un amour certain, on aurait tendance à répondre par la négative. C’est ce que nous dit le dernier plan, melvillien au possible. Il introduit un nouveau personnage joué par Tony Leung. Face à un miroir, les gestes sont les mêmes que Yuddi, on l’imagine très bien entamer le même voyage que ce dernier. La fin importe peu, c’est une invitation à épuiser le champ des possibles que fait Wong Kar-wai dans un même geste solaire.

Sordi
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le 18 nov. 2017

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