Aussi généreux qu'efficace.

J'aime beaucoup Paul Verhoeven, je trouve ses films indémodables et jouissifs. Je n'ai donc pas pu m'empêcher de foncer voir son dernier bébé dès le jour de la sortie sans m'être trop renseigné au préalable. J'avais juste vu la bande-annonce que j'avais trouvé assez Kitsch et pas prometteuse du tout. Mais bon je ne suis pas du genre à prêter trop d'attention à une bande-annonce quand le nom du réalisateur suffit pour me faire accourir dans les salles obscures. Ce qui était surtout le cas avec ce film. Enfin mince quoi, voir Paul réaliser un thriller français, peu importe le résultat, c'était quelque chose que je ne devais pas rater. Au final, je suis bien content d'avoir foncé pour le voir, j'ai passé un moment irrésistible sur mon siège. Je peux même dire que ça faisait longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir devant un film au cinéma, sans arrières-pensées bien sûr.


Ce que j'aime particulièrement avec Verhoeven, c'est ce désir de toujours vouloir se trouver dans un registre à la fois subversif et sarcastique, le tout dans des films très imprégnés d'un espèce de second degré constant absolument irrésistible. Je risque de provoquer quelques émois avec ce que je vais dire mais j'ai toujours pris énormément de recul pendant le visionnage d'un film du Hollandais volant, dans le sens où je trouvais qu'il y avait toujours un décalage entre le propos réel du film et la manière dont il était mis en scène. Parce qu'il faut dire que le réalisateur a très souvent abordé des thématiques pertinentes et intéressantes à travers différentes époques et contextes, on pensera par exemple au contexte ultra-violent et ultra-sécuritaire de Robocop ou bien la propagande complètement décriée à travers Starship Troopers. Les deux films étaient particulièrement virulents dans la critique qu'ils émettaient et se trouvaient être assez politisés. Pourtant cela ne les empêchaient pas de contenir des moments complètement hilarants, je pense que c'était aussi dû à l'époque qui voulait ça. J'ai retrouvé ça avec Elle, c'est à dire ce même décalage entre le protagoniste et la situation qu'il vit et sa relation avec les autres personnages. Décalage qui parait à certains moments dérangeant et à d'autres moments propice à de franches barres de rigolade. Sauf qu'à l'avantage d'autres films du réalisateur, Elle se voit dépourvu d'un aspect politique au profit d'un autre aspect plus orienté vers de la dramatique de pure souche.


Elle arrive alors à se transformer en un pur moment de cinéma par cette démarche-ci. En ne voulant pas se prendre trop au sérieux, le film gagne en générosité, oscillant ainsi entre plusieurs genres. Tout cela rend la narration fluide et agréable à suivre, contrairement à ce que la bande-annonce pouvait montrer. Cette dernière donnait pourtant plus l'impression de faire face à un énième thriller à la fois mal joué et mal interprété. Plusieurs sous-intrigues se mettent en place pendant l'acheminement du film, coupant par la même occasion la linéarité de l'histoire. Ces mêmes sous intrigues apportent alors des situations hautes en couleurs et même plutôt loufoques. De ce fait, cela contribue à l'instauration d'un malaise constant pendant tout le visionnage du film. Une chose qui je pense était totalement voulu et montre à quel point le film s'avère maîtrisé. De plus, en refusant cette dimension trop premier degré du thriller ( comme dans Basic Instinct), on fait alors face à du Verhoeven dans ses heures de gloires. C'est à dire un film où les scènes aux registres différents qui s'enchainent. Ce qui rend ainsi ces mêmes scènes toutes plus cultes les unes que les autres au fur et à mesure qu'elles se succèdent. Le film aborde donc le thriller de la même manière que Flesh and Blood abordait le film médiéval. Avec cette touche personnelle et bizarroïde propre à Paupaul.


Pour ce qui est de l'interprétation, Huppert va faire débat, certaines diront qu'elle se montre trop froide ou aseptisée dans son interprétation. Moi je trouve au contraire, qu'elle joue ici de la bien meilleure des manières. Le recul constant de son personnages sur les choses, cette vision je m'en foutiste qu'elle ne cesse d'étaler à travers l'histoire apporte un je-ne-sais-quoi qui contribue énormément à l'alchimie du film. Pour ce qui est des autres acteurs, on passe du convaincant (on pense notamment au personnage de Vincent et sa copine, absolument détestables) à du moyen ( Laffite était un peu transparent à mon goût). Mais d'un point de vue global, le casting se montre très satisfaisant.


Côté réalisation, on fait face à une réalisation un peu moins stylisée que par le passé mais toujours de haute facture. On sent tout de même la patte et l'expérience du maître derrière la caméra, les plans ne sont jamais trop fixes et ennuyeux. Le montage est convaincant et fluide au possible. Tandis que la photographie s'avère sobre mais reste tout de même assez inspirée.


Malheureusement, le constat n'est pas parfait. Elle est tout de même doté de défauts qui peuvent s'avérer agaçants. Tout d'abord, du fait d'avoir d'avoir choisi le milieu du jeu vidéo comme contexte professionnel du personnage principal, on peut dire qu'il y a une certaine condescendance qui se met en place. Il suffit juste de faire attention et on peut aisément constater certaines erreurs qui coupent un peu le réalisme et l'immersion du spectateur, ce ne sont que des détails certes mais ces derniers peuvent se montrer embêtants. Par exemple le coup du mec qui joue à une cinématique digne d'une ps2 en début de vie avec une manette de PS4 éteinte. Je dis bien jouer à une cinématique car c'est le célèbre cliché du cinéma avec le jeu-vidéo, c'est à dire le mec qui s'excite sur sa manette alors qu'il fait juste face à une putain de cinématique, arrêtez avec ça les mecs sérieux parce que si le mec était vraiment en train de jouer il lui faudrait une manette à 36 boutons. On pensera aussi à la manière dont la construction d'un jeu vidéo nous est montré à travers le film qui donne l'impression d'assister à des discussions de gosses ( "alors le perso, il faut que les gens voient qu'il est trop D4RK, ok ?" ). De Plus, il y a aussi une bande-son un peu cliché qui donne l'impression de se trouver face à l'ouverture d'un film de Brian De Palma dans les années 80.


Elle étant aussi un film à suspense, on est alors en droit de s'attendre à un retournement de situation qui va nous scotcher à notre siège, et bien la révélation s'avère décevante et bien trop prévisible. La fin (qui est décevante elle-aussi) laisse bien trop de questions dans la tête du spectateur pour être réellement convaincante. Venant de Verhoeven, on s'attendait à mieux tout de même.


Je me permets de faire une parenthèse sur un sujet qui me parait primordial d'aborder.


A travers la manière dont le film traite le viol, il y a une certaine ambiguïté. On en arriverait presque à croire que Michèle prend du plaisir. Le viol est alors traité de manière plutôt banale voire malsaine. Cela peut apporter un message assez dangereux, et qui mal interprété peut pousser à considérer cela comme une manière de dévaluer l'horreur morale et physique d'un crime comme le viol. Je ne dis pas que c'est le cas, je dis que cette maladresse risque d'agacer certains spectateurs.


Malgré tout, Elle reste un film au contenu riche, aux thématiques nombreuses et dont certaines scènes s'avèrent tout bonnement mémorable. Un film que je ne peux alors que recommander surtout si vous êtes un fan de la première heure de notre hollandais préféré.

BotDDB
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le 25 mai 2016

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