Chef-d'oeuvre impressionnant.
Huppert retrouve une grâce de jeu perdue depuis bien longtemps, parce qu'enfin un cinéaste touche à ce qu'il y a de plus beau en elle, silhouette frêle de moineau délivrant des vagues de puissance brutes et incontrôlables. Enfin, Huppert redevient mystérieuse.


Ce qui m'a frappé, c'est la contingence absolue qui domine le film et qui est la marque des grands cinéastes. A bien des égards, le film m'a rappelé Inland Empire, dans sa façon de délirer à l'infini, de ne jamais se prendre au sérieux, mais en construisant peu à peu du sens. La crédibilité du récit est ici presque nulle, et pourtant le cinéaste parvient à l'incarner à chaque instant. Le film fonce tête baissé dans une masse énorme de signes et donne l'illusion de pouvoir en faire ce qu'il veut, de pouvoir changer à tout moment de direction, de manière totalement arbitraire. Si la reine Huppert guide tout ce beau monde, c'est une toute autre histoire qui pourrait nous être contée. La raison est qu'on a jamais vu, dans un tel film, des acteurs aussi bien filmés, aussi bien dirigés. Qu'il apparaissent une ou plusieurs scènes, il existent tous, ils sont tous montrés avec passion, avec désir. Même les hommes, qui sont des pantins, idiots ou médiocres, ont leur moment de gloire.
Elle est le film d'un cinéaste accompli, en pleine possession de son art, qui a atteint une telle maîtrise et une telle sérénité qu'il peut se confronter à des territoires inconnus, effrayants, en investir les clichés pour les rendre à nouveau bruts, à nouveau stimulants. C'est le Starship Troopers du film d'auteur français. Et cela nous rappelle bien que Verhoeven est et a toujours été un immense cinéaste, sincère et résolument pop : il ne détourne pas, il investit. Il plonge dans la matière qu'on lui présente. On lui a fait lire un bouquin de Philippe Djian, on lui a proposé Huppert, on lui a montré Paris, il a dit OK. Son goût pour la farce est là : ce qu'il fait du drame bourgeois tient bien sûr de la parodie, mais pas seulement. Et c'est là toute la grandeur du film : le film n'est pas seulement matière à un carnaval d'acteurs français que le cinéaste s'amuserait à dérégler. Il y aussi une vraie histoire, celle d'un trouble, celle d'une passion dérangeante et bouleversante, devinée par des détails, des visages, des raccords détonants et violents.
L'histoire de Michèle, c'est celle d'une femme qui apprend à être forte, à être libre, et cette trajectoire est aussi celle du film. Tout y possible, plausible, palpable, prêt à surgir. Il y a là un désir de surprise, de récit, un désir de s'affranchir de tout, d'investir tout ce qui a existé, de faire montre d'une foi totale en les pouvoirs magiques et transporteurs du cinéma.
Elle est le film d'un cinéaste libre, enfin libre, totalement libre.

B-Lyndon
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le 29 mai 2016

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B-Lyndon

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