On rit souvent d'un rire franc, pas un ricanement gêné ou vicelard, non, un rire net et assumé. C'est la première surprise de Elle, cette manière d'imposer le rire sans crier gare. La volonté n'est pas de désamorcer la tension mais plutôt d'aller au rythme de Michèle, celle qui est "elle".


Elle est fracturée et chaque nouvelle fracture ne l'ébranle pas, ou plus, à peine, pas même un viol. Elle ne supporte pas les coups mais s'en remet. C'est que le traumatisme originel est plus fort, constamment présent. Il bouffe tout, déglingue l'esprit et dérègle les perspectives, casse les frontières entre ce qu'on doit dire et ce qu'on ne doit pas dire, ce qui va blesser ou pas. Elle dit. Elle dit ce qu'elle pense. Elle ne prend jamais de gants. Puis elle passe à autre chose. Dans Elle, le "bien et le mal" tels qu'on les entend habituellement ne s'incarnent pas.


Elle agit seule. Elle pense qu'elle peut s'en sortir seule. Elle a la peau dure. Ce n'est pas qu'elle soit insensible, c'est qu'elle ne peut pas se permettre d'être sensible. On ne saura jamais ce qui s'est réellement passé avec son père mais elle impose sa version des faits avec autorité. Il n'est plus question qu'elle soit une victime. Et si le trouble se mêle à la volonté de se défendre, elle fait avec.


Isabelle Huppert est Michèle Leblanc avec une évidence indiscutable. Elle trouve ici l'un des rôles les plus puissants de sa carrière. On peut parler d'incarnation. Le reste du casting, toute surprise passée, est à la hauteur (à son service) avec un seul bémol pour Alice Izaaz trop en force alors que Virginie Efira est épatante.


Sans doute n'est-il pas nécessaire de rappeler à quel point la mise en scène de Paul Verhoeven est brillante. Jouant autant avec la précision du cadre qu'avec d'audacieux mouvements (l'un, tel un ruban tournant autour d'Huppert tout en remontant alors qu'elle s'habille...), habitant le film des nuances sombres de l'hiver, porté par un scénario à l'écriture brillante, le cinéaste inscrit Elle dans la lignée de ses grands films.


Il s'agit là de regarder la nature humaine telle qu'elle est, droit dans les yeux, inventer des personnages, les mettre en scène, mais cesser de se raconter des histoires.

pierreAfeu
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le 6 juin 2016

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pierreAfeu

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