EMA (Pablo Larrain, CHI, 2020, 102min) :


À la faveur des derniers feux de l'été EMA déboule de manière incandescente sur l'écrin de nos rétines, pour enflammer nos sens à la faveur d'une expérience cinématographique singulière et hypnotique.


Présenté l'été dernier à la Mostra de Venise (le 31 août 2019), la nouvelle œuvre du passionnant réalisateur chilien peut enfin voir le jour et irradier nos salles, obscurcies par la pandémie du COVID-19 et ternies par nombre de films manquant d'audaces. Pablo Larrain habitué à ausculter profondément les zones d'ombre de son pays avec une précision diabolique (notamment dans le pertinent Santiago 73, post mortem (2010), l’ingénieux No (2012) et l’excellent El Club en 2015) s'empare cette fois-ci de sa caméra, pour livrer une ardente représentation féminine, et une judicieuse photographie sociétale au cœur de l'intime.


Crépitements. Corne de brume. Feu tricolore suspendu. Boule de feu dans la nuit. La surprenante première séquence crépusculaire enflamme de manière saisissante l'ouverture du film par le biais d'une apprentie pyromane. La radicalité de ton est donné, pleins feux avec Ema ! À peine les braises de la nuit retombées, qu'une discussion tellurique conjugale s'engage vertement entre Ema et Gaston son mari, pour dévoiler un traumatisme commun, celui d'avoir dû être obligé de rendre un petit garçon adopté après un grave accident provoqué par celui-ci. Les fissures sismiques émotionnelles voient le jour avant de prendre corps lorsque la musique entre en scène pour transcender une troupe de danseurs contemporains (dirigée par Gaston et dont Ema semble le soleil de la pièce), en pleine représentation d'un spectacle. Le brillant montage s'emballe également pour mieux explorer de façon alternative la psyché intime d'Ema, et donner ainsi plus d'ampleur aux maux à travers le langage du corps. La caméra capte sans jugement tous les actes de cette jeune femme punk, à travers ses diverses émancipations, son désir furieux de tout faire voler en éclat : les institutions, le patriarcat notamment, avec le secret espoir chevillé à l'âme de retrouver définitivement Polo, « son » garçon qu'elle a « abandonné ». Ema, à la fois solaire et lunaire mais avant tout : Énergique, Musicale et Affranchie.


Ema s'avère constamment une œuvre déroutante où la virtuose mise en scène stylisée, virevolte en apesanteur et magnifie les frénétiques scènes de danse reggaeton (hip hop latino issue de la musique des Caraïbes) en opposition aux choix surannés des mouvements proposés par Gaston (représentant de la vielle génération). Ce genre musical urbain illustre les velléités de la nouvelle génération et invite à la libération des corps au milieu des espaces publics presqu'onirique, tant les flamboyantes couleurs de Valparaiso en pleine mutation éclaboussent nos rétines. Le metteur en scène s'appuie sur son astucieux récit puzzle pour accompagner au plus près sa labyrinthique et bouillonnante héroïne calculatrice engagée à corps perdu dans son audacieux stratagème. Une jeune femme sombre à la démarche individualiste dont les envoûtantes armes de séductions massives vont tout embraser sur son passage. Entre les regards irradiants et les actes poétiques au lance-flammes d'Ema pour laisser sa trace dans la ville car « brûler c'est semer », tous les astres humains vont graviter autour d'elle et changer à son contact, à la manière du personnage mystérieux de Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini, dont l'influence est manifeste. Une sensationnelle fiction corporelle, sensuelle, charnelle, sexuelle et libertaire qui perturbe les consciences, enivre la pupille de manière ensorcelante. Un long métrage viscéral empli constamment de sublimes séquences visuelles éblouissantes accompagnées par une bande sonore exaltante de Nicolas Jaar, parfait relais des pulsations intimes de l'héroïne.


Cet ambivalent portrait féministe garde constamment la flamme et hante durablement l'âme des spectateurs. Amateurs d'expériences cinématographiques sensorielles ce vibrant film chorégraphié s'offre à vous. Ema, une œuvre captivante et dense !

seb2046
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le 5 févr. 2020

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