J'appréhendais d'aller voir Énorme et au final, je crois que ce film est en lice pour faire partie de mon top 10 de l'année 2020.
La raison principale de mon appréhension : la mise-en-scène de Sophie Letourneur qui semblait, d'après les plans choisis dans la bande-annonce, être assez basique et pas vraiment attrayante.
Il s'est avéré que c'est justement ce choix de mêler d'une part les techniques du documentaire et de l'autre celles de la fiction qui m'ont grandement enthousiasmée. En effet, cela crée un ton unique, entre réalisme et fantaisie. Ainsi, le rire et l'émotion cohabitent : il y a eu des moments où je m'esclaffais et d'autres où je pleurais comme une madeleine (c'est la séquence de l'accouchement qui a signé ma fin).
Cette authenticité on la doit au procédé d'écriture de la cinéaste qui, pendant le neuvième mois de sa seconde grossesse, a pris des notes sur tout ce qu'elle ressentait, vivait. De toutes les situations tragicomiques auxquelles elle a fait face est née l'envie d'en faire un film. Elle a notamment utilisé le principe d’enregistrer au son des improvisations puis de les mélanger, les monter afin de les retranscrire pour qu’elles deviennent les dialogues définitifs.
Par ailleurs, le côté brut, frontal de la réalisation de Sophie Letourneur résulte également de sa manière de tourner. Pour les scènes à l’hôpital, dans une logique de champs-contrechamps, la réalisatrice a filmé les plans documentaires et les séquences d’improvisation en cadrant uniquement le personnel. Ces séquences avec le personnel hospitalier ont été captées lors de scènes d’improvisations.
Le défi pour ce film s’est donc joué autour du point de montage entre ces plans documentaires et les plans fictionnels, dans une continuité́ artificielle. Et le pari est relevé!
D'autre part, ce que j'ai le plus apprécié dans Énorme c'est la réflexion sur le corps des femmes, ce qu'il subit au quotidien, ce que la société en attend, ce qu'il représente. Le format choisi (presque carré) renforce le côté claustrophobe, coincé qui reflète l'état d'esprit de la femme enceinte. Comme l'explique Sophie Letourneur, attendre un enfant c'est être bloquée dans un calendrier, dans un corps, dans un empêchement.
Si le ventre de Claire (Marina Foïs) devient si énorme c'est pour parler de la transformation des corps sans que ce soit un acte volontaire. Cette "énormité" est aussi une façon d'exprimer le ressenti plus que le réel. Par conséquent, plus le film avance, plus l'actrice occupe l'espace dans le cadre. À noter que, dans Énorme, ce changement corporel touche aussi bien la femme que l'homme produisant alors un effet particulièrement comique.
Enfin, la réussite de cette comédie repose également sur le brio de Marina Foïs et Jonathan Cohen qui forment un couple improbable mais crédible.
En résumé : j'ai adoré et je vous le conseille vivement.
Anecdote : Sophie Letourneur a notamment été très inspirée par son mari et se souvient : "j’avais dépassé le terme de ma grossesse - nous marchions dans la rue pour favoriser les contractions, et j’ai cru perdre le « bouchon muqueux ». En pleine rue, il a mis la main dans ma culotte pour vérifier. Je l’ai noté, trouvant cela à la fois drôle et en même temps vexant. J’avais aussi retranscrit des dialogues qui se retrouvent dans le film."