De l'influence des cours de littérature sur la vie des êtres...

De prime abord, le deuxième long métrage de Pierre Godeau, après "Juliette" (2013), apparaît comme une gentille histoire d'amour, assez singulière, certes, puisque rapprochant un directeur de prison (Guillaume Gallienne) et l'une de ses détenues (Adèle Exarchopoulos), mais un peu invraisemblable, quoique inspirée par l'une de ces nombreuses histoires folles que seul sait produire le réel. Selon que l'on se laisse convaincre, ou non, par un Guillaume Gallienne au cheveu souple et à la barbe légère et par une Adèle Exarchopoulos déployant une séduction plus paradoxale que jamais, le film s'offre comme regardable ou comme bon à être basculé dans les oubliettes du 7ème art...


Il est vrai que le filmage est des plus classiques et que la survenue du lien amoureux est un peu brusquée ; pire, on comprend mal l'inscription de cette relation en apparence vouée à l'échec et à coup sûr dangereuse (on aura l'occasion de mesurer l'étendue de ses dégâts...) dans la vie d'un responsable déjà comblé, avec femme et petite fille aussi charmantes et tendres l'une que l'autre.


Mais deux thématiques secondaires se dégagent au passage, d'ailleurs liées l'une à l'autre : le caractère de ferment suractivé que peut revêtir l'enseignement de la littérature, à plus forte raison dans le contexte d'un désert culturel et affectif. Le scénario montre clairement et, en l'occurrence, assez finement, l'influence exercée par l'étude de "Phèdre", dans le cadre de l'enseignement carcéral, sur l'esprit sensible et volcanique d'Anna Amari, à tel point que la réceptivité que la jeune femme offre au texte racinien l'expose à une sorte de commandement d'amour qui s'abattra sur le premier venu. Et cela d'autant plus aisément que les circonstances placent d'emblée ce premier venu au cœur de schémas spécifiquement raciniens (ici survient la seconde thématique), puisque Jean Firmino, en tant que directeur de prison, peut jouer un rôle important dans le quotidien et même le jugement de sa détenue, tout comme les figures de maîtres, politiques ou affectifs, entre les mains desquels les héroïnes raciniennes remettent si fréquemment leur destin.


Ne serait-ce que pour cet éclairage jeté sur la composante possible de certains liens amoureux, en lesquels amour et pouvoir s'entortillent, ce film, qui réinjecte dans le monde moderne des enjeux du Grand Siècle, mérite de ne pas se voir totalement dédaigné.

AnneSchneider
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le 18 juin 2017

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Anne Schneider

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