D'emblée, un écart se dessine, entre le titre et l'objet du film : "Éternité", alors que le sixième long-métrage de Tran Anh-Hung se centre sur trois générations et plus d'une même famille, dans une succession de naissances et de morts, donc précisément ce qui fait que la vie humaine n'est pas "éternelle".


De plus, ce sont ces moments - entrée ou sortie de l'existence - qui sont privilégiés, la caméra étant prise dans un mouvement de glissement continu qui nous renverrait plutôt au caractère éphémère de l'existence, la danse macabre se voyant ici précédée par une danse des vivants, mais si tournoyante, si incessante, constamment renouvelée, que finalement, peu importe réellement l'identité, encore moins la personnalité des danseurs.


Des couleurs vives et criardes, volontiers saturées, sont chargées de nous faire comprendre à quel point la vie est une fête, "tant qu'y en a"... De fait, milieux aisés, voire fortunés, jamais laborieux, toujours en vacances ou s'adonnant à divers plaisirs. On imagine que les malheureux acteurs ont dû faire travailler leurs zygomatiques jusqu'à la crampe, tant les sourires sont constants. Ce ne sont que caresses, baisers pâmés aux adorables bébés, éclats de rire, jeux innocents... Entre naissance et trépas, les existences sont survolées, réduites à ces quelques scènes de félicité quasiment muette ou aux grands événements dignes d'être enregistrés sur l'Etat Civil : mariage, évidemment, accès au statut de parent...


Une voix off féminine dépassionnée commente cette farandole, s'enroulant autour de la figure de plus en plus vénérable de celle que l'on a vue petite fille et qui, devenue femme, a pris les traits d'une Audrey Tautou de plus en plus chargée de maquillage vieillissant.


La mort, bien entendu, armée de sa grande faux, s'amuse parfois à effacer les sourires et à les convertir en larmes. Jamais bien longtemps. La chronologie, élégamment bousculée, s'emploie aussitôt à livrer en flash-back quelques images du bonheur perdu, supposé rendre le malheur plus poignant. Parfois, alors, l'incessante musique lénifiante, pianotée ou arpégée à la guitare, consent à se taire...


Jamais bien longtemps, là encore, puisque, n'est-ce-pas, la vie reprend ses droits, la musique repart de plus belle, de plus en plus forte, les veufs s'entrépousent et la grande valse de l'existence peut reprendre, éternellement, en effet...

AnneSchneider
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le 26 août 2017

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Anne Schneider

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