A la lecture du livre « L’élégance des veuves » dont le film est tiré, on ne peut que se dire qu’une adaptation ne serait pas chose aisée. Ce roman ne s’attarde pas sur les détails et passe d’un événement de frise chronologique à un autre (baptême, mariage, enterrement), ses personnages apparaissent et disparaissent aussitôt : pas si simple à adapter tant c’est finalement peu « romancé ».
J’étais donc un peu sceptique quant à ce choix. De plus, il est difficile de s'y coller sans prêter à débat. Si ce texte est extrêmement bien écrit, il pose néanmoins question dans le message qu’il véhicule : la place de la femme et son rôle presque exclusif de mère porteuse, d’enfantement en enfantement, sans trêve aucune.
En sortant de la salle, je me dis que personne n’aurait pu le faire mieux que lui. Tran Anh Hung a pris le parti-pris de ne pas ajouter à l’intrigue, de suivre fidèlement son ouvrage de référence, et de garder cette apparente simplicité de l'histoire (ou plutôt des histoires) –qui ennuiera certains, tant pis pour eux…- tout en rendant hommage à la beauté de ce qu’elle est en tant que telle, sommaire mais incroyablement poignante. Il s'attarde d'ailleurs un peu moins sur le côté "devoir d'être mère" que sur le bonheur que cela apporte. Pari réussi, car le film est finalement mille fois plus touchant que l’œuvre d’origine, tant il y ajoute –tout en finesse- en magnificence.
Pour ce faire, le réalisateur utilise la voix off –choix très pertinent pour reprendre un livre tel que celui-ci, où les événements se succèdent presque bien trop rapidement. Et même si je ne suis pas convaincue par le timbre de cette voix (qui n’a des voix off de Malick ni le murmure mystérieux ni la force) sa sobriété et son caractère un brin banal mettent en valeur la beauté des mots choisis par l’auteur.


Je n’étais pas non plus très emballée par le casting mais à l’exception de Mélanie Laurent, qui alterne entre purs moments de grâce et retours aux sources (où elle ne peut quitter cet air un brin hautain), le résultat m’a bien détrompée. Audrey Tautou est étonnante, elle surprend par tant de maturité, de tendresse et cet apparent bonheur de la maternité qu'on ne lui avait jamais vu. Bérénice Béjo confirme ce qu’elle laissait poindre depuis quelques films (encore très récemment avec L’économie du couple) : elle est capable d’une vraie force dans son interprétation et nous livre un personnage délicat et touchant, en plus d'être follement lumineuse. Le casting masculin ne démérite pas, avec un Jérémie Renier sensible et un Pierre Deladonchamps de plus en plus convaincant et toujours juste (vu la semaine dernière dans Le fils de Jean).


Comme toujours, et il nous y a habitué depuis ses tout premiers films, le réalisateur nous ébahit par la beauté de ses plans, toujours à couper le souffle, que ce soit ceux de cette eau meurtrière (somptueuses teintes entre bleu et vert), des plans de nature, ou simplement des portraits entourés d’étoffes, de fleurs et de tapisseries. Les coiffures, les robes, les intérieurs, le moindre détail émerveille. Des rouges chatoyants des intérieurs, des verts émeraudes sur les murs au bleu pâle et si brillant des chambres à coucher, pourtant antichambres de la mort : les couleurs ne manquent pas.
Pour accompagner le tout, la guitare succède au piano, puis à quelques moments chantés. Le tout d’une pureté sans égal, absolument céleste, et semblant épouser à chaque instant l’image dans un beau mariage, régal des yeux comme des oreilles. Un grand nombre des plus belles pièces du répertoire se côtoient, les notes filent pour mon plus grand bonheur, en venant parfaire la splendeur du tout.

Et sur ce somptueux décor, de si beaux visages, de doux instants de complicité, des mains qui dialoguent, des corps qui s’étreignent et d’intenses regards échangés. Souvent des plans mettant en scène des duos, qu’un troisième personnage bouleverse en rentrant dans le cadre, formant ainsi soit presque des peintures, soit un entremêlement humain empreint de tendresse et d’amour. Des instants de partage, de grâce. Eternité c’est tout ça.


Tran Anh Hung nous livre de somptueux portraits de femmes, toujours admirables de force, et qui donnent sans compter, leur corps, leur santé, et même jusqu’à leur vie. Le tout sans aucune longueur, d’une grâce infinie. Un beau récit de vie et de morts. Mais ce n’est pas le chagrin que le réalisateur choisit de montrer, pas non plus cet abattement décrit (certes brillamment) si souvent dans le livre. Ce sont les partages avec la personne aimée qui vient de sortir de scène, fins souvenirs qui illustrent, plus encore que la douleur de la perte, la constance d’un amour de ceux qui sont partis, avec élégance, et sont pourtant à jamais présents. Pas de mélodrame donc. Ça aurait pourtant été facile, le livre donne à foison événements pour pleurer. Et là où il aurait été simple de laisser parler les fluides allers et venues des doigts sur le clavier à ces moments précis, pour toute musique vient le silence. Et n’y a-t-elle pas plus beau son pour illustrer le vide, la perte.


Eternité, c’est la Vie des Hommes. La vie, l’amour, la mort. Et si ça paraît peu aux yeux de certains, si l’action manque, n’est-ce pas là l’essentiel ? La vie, courte. Les générations qui s’enchaînent. Et ce qui reste, plus que nos parcours de vie, c’est la tendresse que nous laissons à ceux avec qui nous avons partagé : celle qu’ils nous laissent, celle qu’on leur laisse, tout dépend de qui part en premier. Et c’est ça qui est beau. L’éternité est là. Bien là. Lumineuse.

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le 12 sept. 2016

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emmanazoe

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