Exodus : Gods and Kings (Ridley Scott, Royaume-Uni, 2014, 2h30)

De l’art de refaire un film qui n’en demandait pas tant, en maquillant toute l’opération en ‘’adaptation originale’’ d’un récit biblique. Après avoir massacré le mythe Robin des Bois, en faisant n’importe quoi avec dans l’espoir de renouer avec le succès de ‘’Gladiator’’, Ridley Scott ressort la même recette avec ce remake inavoué de ‘’The Ten Commandments’’ de 1956. Tout l’épique et l’ampleur en moins.


L’histoire suit Moïse, un général bourrin de l’armée de Pharaon, une bête de guerre qui tue froidement, et qui aime ça, comme le montre une bataille sensément spectaculaire. En réalité une démonstration numérique sans âme. Christian Bale, complétement à côté de ses pompes, prête ses traits au prophète, en l’interprétant comme un gros dur ‘’à la cool’’. Sourcil cassé, voix rauque, petit sourire en coin, il roule des mécaniques faces aux ennemis de l’Égypte.


Rebelle bad ass, affichant sans cesse un air détaché, le rendant terriblement arrogant, à aucun moment il ne convainc qu’il est un Égyptien de 1440 av J-C. En grande partie à cause d’une direction d’acteur inexistante, comme il est trop souvent le cas chez Ridley Scott. Censé porter le récit du début à la fin, il ne parvient jamais à se débarrasser de son attitude de général rigide.


Mettant son expérience martiale au service des Hébreux, il les entraine au combat. Froid et dur, il attise peu la confiance. Quand la version de Charlton Heston faisait émaner de Moïse une vraie sagesse créant de l’empathie pour lui. Dans ‘’Exodus’’ c’est l’inverse, le prophète est antipathique. Mais malgré la belle contre-performance exceptionnelle de Bale, ce n’est même pas lui qui détient la palme.


En effet, le casting compte ce cake de Joel Edgerton, comédien limité qui peine à incarner ses partitions, alors en Ramsès II… Et bien c’est juste la grosse foire aux clichés. C’en est même pathétique tellement c’est raté. Censé prendre la tête de l’Égypte à la suite de Pharaon (John Turturro, là aussi une grosse erreur de casting…), il apparaît tout au plus comme un ‘’branleur’’. Plus proche de l’ados en pleine crise, que d’un successeur sérieux.


Avec l’interprétation sans nuance d’Edgerton, Ramsès II devient une espèce de méchant de série B, aux expressions stéréotypées bien trop appuyées. Sous-réinterprétation du Commode de Joaquin Phoenix, chacune de ses apparitions est risibles. Et c’est l’un des deux protagonistes… Pour dire si ça gâche, quand même, une grosse partie du métrage.


En 1956 Yul Brynner avait parfaitement réussi à cerner ce personnage ambiguë de tête brûlée, imprévisible, arrogant, et trop instable pour faire un bon souverain. Mais dans ce bien triste ‘’Exodus’’, Ramsès II passe son temps à prouver qu’il est méchant. Il caresse des serpents dans l’obscurité, recueille leur venin, fronce des sourcils et fait la moue, et n’hésite pas à faire exécuter froidement ses propres conseillers. Parce qu’il est méchant.


Après tout ça, le film essaye vainement de le promouvoir comme un être complexe. Avec une tentative de l’humaniser. Par moments Edgerton fait sa tête de petit ado’ innocent, pour faire croire que Ramsès Ii il est juste en mal d’amour… Quand le scénario s’évertue à le présenter comme instable et à lui faire commettre des horreurs. Il y a donc, à plus d’une reprise, une contradiction entre ce qui se passe à l’écran, et ce que le scénario raconte.


Un autre problème de taille, concernant le casting, est qu’en 2014 représenter des Égyptiens dans une grande fresque biblique en prenant des comédiens occidentaux pour les premiers rôles, c’est une démarche bien anachronique, qui joue en la défaveur du film. Tous les protagonistes sont blancs, quand les personnages secondaires sont d’origine orientale. C’est là une maladresse impardonnable pour une production contemporaine.


En 1956, que l’intégralité du casting soit Blanc peut se comprendre par l’époque à laquelle il est tourné. Hollywood est encore une industrie d’hommes blancs, avec ce que cela implique sur la présence féminine et l’absence de minorités représentées à l’écran. Mais depuis ces temps, la société a quand même connu des évolutions significatives.


Même dans ‘’Noah’’ de Darren Aronofsky, sorti la même année que ‘’Exodus’’, le casting uniquement composé de Blancs est un parti pris appuyant la dimension pamphlétaire envers les sociétés occidentales. Rendu possible par la dimension mythique du Déluge et l’approche originale d’Aronofsky.


Ridley Scott essaye lui d’ancrer son œuvre dans un contexte historique, rendu possible par des dates plausibles, qui ancrent le mythe dans la réalité. Même si l’existence d’un tel événement est encore discuté aujourd’hui par des historiens. Mais avec son visuel proche de ‘’Gladiator’’, avec des tons grisâtres et un ciel sans cesse couvert, que le grain de la photographie rend ‘’authentique, il y a clairement une intention à vouloir faire de l’Exode un récit historique.


Sauf que l’Égypte du XIIIème siècle av. J-C, ce n’est par la Rome surpeuplée de Marc-Aurèle au IIème siècle ap. J-C. C’est une région ensoleillée, qui n’est pas le décors d’une civilisation ayant amorcée son déclin. Une démarche qui interroge sur les raisons d’une telle iconographie, un peu opportuniste. Tout comme le choix de conserver Ramsès II en antagoniste, quand la date de l’Exode (approximativement -1440 av. J-C) correspond au règne d’Amenhotep II.


Cependant, au-delà de l’aspect historique questionnable, le film aborde la foi par un aspect bien étrange. La représentation de Dieu, dans une œuvre à la recherche d’un cachet ‘’réaliste’’, est un peu la porte ouverte à tous les délires, aussi incompréhensibles les uns que les autres, puisqu’il se manifeste à Moïse sous la forme d’un enfant de 10 ans.


L’approche est des plus étrange, et donne à l’entité divine la nature d’un gamin capricieux qui s’énerve lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut. Si le buisson ardent est présent, il l’est en arrière-plan, et a peu d’importance. En revanche, tout est mis sur les apparitions de Dieu, des songes hallucinés qui pourrait donner l’impression qu’ils se déroulent dans la tête de Moïse. Idée appuyée par le fait que Dieu lui apparaît très souvent, perdant tout de sa prestance mystique.


L’échec du film réside dans cette direction artistique aléatoire d’une grande pauvreté. Ne sachant jamais vraiment où aller, peu aidée par un réalisateur en pilote automatique. Enchaînant les poncifs de l’Épique pour espérer trouver un souffle qui n’arrive jamais. Cela se perçoit dans des détails, comme ces personnages importants du récit que sont Joshua et Aaron. Très en retrait ils ne sont ni présentés, ni développés, et d’un coup ils deviennent essentiels.


Pour camoufler un peu la vacuité d’un scénario qui n’a rien de plus à raconter que ce qu’il se trouve dans les écrits bibliques et dans les deux films de Cecil B. de Mille sur le sujet, Ridley Scott requiert au spectaculaire, en convoquant la présence outrancière d’effets spéciaux numériques. Pour exemple, la séquence de la Mer Rouge, alors que les Hébreux sont guidés par Moïse, est symbolique du cruel vide ambiant, per le biais d’un énorme plan d’ensemble, où des centaines de milliers (si ce n’est des millions…) d’âmes attendent sur la plage.


Bien entendu ça se veut spectaculaire, mais c’est pourtant l’inverse que ça provoque. La volonté de réalisme affichée depuis le départ devient d’un coup du gros n’importe quoi. Sans parler de l’incroyable vitesse à laquelle ces milliers de milliers d’anciens esclaves, aux conditions physiques aléatoires traversent la mer.


D’ailleurs, pour le passage de la Mer Rouge, Ridley Scott est parvenu à retirer toute la magie de ce moment clé, et bien connu, de l’Exode, qui est un peu le moment attendu du récit. Le moins que l’on puisse est que le cinéaste semble avoir bien veillés à ce que ce moment soit à l’image du reste, prêtant bien attention à ne surtout pas créer la moindre tension, où un quelconque enjeu.


‘’Exodus : Gods and Kings’’ c’est un peu le résultat d’un aveu de faiblesse hypocrite. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer un passage promptement hallucinant, de par sa gratuité et son inutile présence à un moment où le film est censé exprimer une intense tension. Alors que les Hébreux sont bloqués entre la Mer Rouge et l’armée de Ramsès II. Cette dernière longe une crête montagneuse à toute berzingue, ce qui donne lieu à un énorme carambolage entre chars.


Voulument hyper-spectaculaire, les chevaux, les charriots, les soldats volent de partout et tombent s’écraser dans le vide. Mais ce n’est pas tout, alors qu’un pan de la montagne s’effondre, entrainant une partie de l’armée dans une démonstration numérique outrancière. Alternant les gros plans et les plans d’ensemble, pour montrer sous tous les angles possibles à quel point cette scène est spectaculaire. Quand le reste s’avère dramatiquement plat.


Puis s’en vient la fameuse remise des tables de la loi, lorsque que Moïse va trainer 40 jours et 40 nuits sur le Mont Sinaï. Le peuple hébreux, livré à lui-même se lance dans une grosse teuf. C’est la fameuse orgie qui voit l’adoration d’un veau d’or. Sauf qu’ici c’est une fois de plus très convenu, à l’image d’une production inutile et vide de sens. Bafouant les thématiques qui résonnaient en 1956, comme les messages de paix et de liberté ingénument délivrés.


En résulte une sorte de film d’action pré-Jésus, avec un peu de guerre et de la bagarre. Il est à se demander qu’elles furent les motivations des personnes derrière ce film, et les raisons de vouloir reprendre ce passage bien précis de la Bible. Par une démarche réaliste et glaciale, quand la fantaisie qui s’en dégage est ce qui en fait une histoire à part. Comme en témoigne la version de 1956.


Certes le mythe est à la portée de tout le monde. Darren Aronofsky l’avait ainsi parfaitement compris avec ‘’Noah’’, en se le réappropriant totalement. Ici la ‘’magie’’ est reléguée au second plan, tout en étant centrale chez des personnages désincarnés qui pataugent au milieu d’une histoire sans propos. Rien d’universel ne se dégage dès lors de ce film d’action plat et visuellement très laid.


Une fois de plus Ridley Scott se ramasse bien comme il faut, avec une aventure épique qui ne vaut pas beaucoup mieux que les vieux téléfilms bibliques, qui avaient pour eux l’honnêteté d’essayer d’illustrer des épopées. Quand il y a ici une tentative ratée de se placer au-dessus du mythe, ce que corrobore la démarche réaliste. Sauf qu’à partir du moment où les Égyptiens et les Hébreux parlent américains et agissent comme tels, ça ne créé aucunes illusions.


Un très mauvais film que ce ‘’Exodus : Gods and Kings’’, qui se vautre sur à peu près toute la ligne. Ne parvenant jamais à se hisser au-delà d’une nature de Film de Guerre un brin biblique. Manquant cruellement de souffle et d’âme, il n’y a vraiment pas grand-chose à retenir, même pas de petites fulgurances. C’est méticuleusement bien foiré comme il faut, afin que ne demeure que le goût amère d’une débauche de moyens dépensés en vain.


-Stork._

Peeping_Stork
2
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Il était une Foi(s)

Créée

le 26 avr. 2020

Critique lue 86 fois

1 j'aime

6 commentaires

Peeping Stork

Écrit par

Critique lue 86 fois

1
6

D'autres avis sur Exodus - Gods and Kings

Exodus - Gods and Kings
Docteur_Jivago
8

Plaies intérieures

Après Cecil B. DeMille, c'est au tour de Ridley Scott de s'attaquer à la vie de Moïse et notamment la façon dont il a conduit les hébreux hors d'Égypte et, de sa jeunesse comme prince jusqu'à...

le 26 déc. 2014

51 j'aime

24

Exodus - Gods and Kings
ltschaffer
9

Des Hommes et des Dieux

"Notre sujet est inhabituel", nous adressait Cecil B. DeMille dans l'aparté introductif de son auto-remake des Dix Commandements. Et pour cause, le périple biblique de Moïse n'a réellement été adapté...

le 9 déc. 2014

50 j'aime

19

Exodus - Gods and Kings
SanFelice
8

Moïse, clochard céleste

Ridley Scott a une certaine capacité à me surprendre. Chaque fois qu'il paraît être en perte de vitesse, complètement perdu, n'arrivant plus à exploiter son talent dans un filon qu'il semble avoir...

le 9 mars 2015

42 j'aime

5

Du même critique

The Way Back
Peeping_Stork
10

The Way Back (Gavin O’Connor, U.S.A, 2020, 1h48)

Cela fait bien longtemps que je ne cache plus ma sympathie pour Ben Affleck, un comédien trop souvent sous-estimé, qui il est vrai a parfois fait des choix de carrière douteux, capitalisant avec...

le 27 mars 2020

16 j'aime

6

Gretel & Hansel
Peeping_Stork
6

Gretel & Hansel (Osgood Perkins, U.S.A, 2020, 1h27)

Déjà auteur du pas terrible ‘’I Am the Pretty Thing That Lives in the House’’ pour Netflix en 2016, Osgood Perkins revient aux affaires avec une version new-Age du conte Hansel & Gretel des...

le 8 avr. 2020

13 j'aime

2

The House on Sorority Row
Peeping_Stork
9

The House on Sorority House (Mark Rosman, U.S.A, 1982)

Voilà un Slasher bien particulier, qui si dans la forme reprend les codifications du genre, sans forcément les transcender, puisqu’il reste respectueux des conventions misent à l’œuvre depuis 3 ans,...

le 29 févr. 2020

10 j'aime