Comment un jeune homme brillant et séduisant peut-il devenir un monstre ?

Le film retrace la fin de la vie du serial killer Ted Bundy, et son titre, Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, est une citation du juge qui l'a condamné à mort (superbement interprété par John Malkovich), expression qui décrit l'état d'esprit présidant à ses meurtres.
L'idée du film est de présenter Ted Bundy comme une jeune Américain normal, étudiant en droit, qui vit avec sa petite amie et la fille de cette dernière. Il apparaît comme un charmeur, mais aussi quelqu'un de souriant, toujours positif, gentil, et intelligent, plein de ressources. A tel point que quand il est accusé de l'assassinat, particulièrement sauvage qui plus est, de plusieurs étudiantes, on a du mal à y croire. Pendant une bonne partie du film, on penche (si on ne connaît pas l'histoire) pour son innocence. Pendant tout le reste du film, le doute subsiste. Il y a autant d'éléments plaidant en faveur de sa culpabilité qu'en faveur de son innocence.
En effet, si la première partie du film relate sa rencontre avec sa petite amie et leur vie de couple, la seconde s'attache à son procès, qui le conduira à la chaise électrique. Procès rocambolesque et haut en couleur, où le présumé tueur en série s'illustre par plusieurs évasions, par un humour provocateur, par une décontraction à toute épreuve, par un charme ravageur qui attire même de jeunes groupies à son procès, par un mépris de ses avocats, finissant par assurer lui-même sa propre défense, et ne cessant de clamer haut et fort son innocence.
On est tenté de croire jusqu'au bout à son innocence, jusqu'au renversement final avec la sentence qui tombe comme un couperet. La scène ultime, confrontation avec sa petite amie juste avant l'application de la sentence, est à cet égard particulièrement bouleversante.
Ce qui m'a gêné dans le film, c'est justement que Ted Bundy apparaisse comme ne pouvant être coupable, ne pouvant être un monstre, à tel point qu'on n'a aucune idée de ses motivations, et qu'il semble qu'il s'agisse de deux personnages différents. Ca ne colle pas. Quelque chose cloche. Il n'avait aucun intérêt à commettre de tels actes, et à l'inverse les risques étaient très grands, incluant notamment la peine de mort...
Comment un beau jeune homme, brillant, plein de charme, étudiant en droit, promis à un bel avenir, peut-il avoir l'idée de massacrer plusieurs jeunes filles, en les assassinant avec une cruauté et une barbarie dépassant l'entendement, et ce sans motif ? Certes, il en a violé au moins une, mais pourquoi en aurait-il besoin, puisqu'il est un séducteur de premier plan et que de nombreuses jeunes filles sont à ses pieds ? Pourquoi prendre de tels risques alors qu'il ne semble avoir aucun problème dans sa vie ? Comment peut-il, en ayant assassiné au moins 30 femmes (!), vivre avec sa petite amie et la fille de celle-ci, pendant des années, sans problème ?
Le film fait l'impasse totale sur toutes ces questions. Alors même que le réalisateur est l'auteur de plusieurs documentaires sur le tueur en séries. Mais tout cela reste un mystère. Nous ne savons rien de ses motivations, de sa part d'ombre, de ses troubles mentaux, de ses traumatismes. Car pour en arriver là, il faut forcément avoir des traumatismes, et des très profonds... Je ne crois pas du tout au "mal absolu", sorti de nulle part, comme si un individu, possédé par le diable ou quelque autre entité, devenait soudainement un meurtrier sanguinaire... Il serait très naïf et superstitieux d'adhérer à ce schéma, pourtant si répandu.
Il y a quand même un élément d'explication qui m'est venu, mais qui n'apparaît qu'en filigrane, et qui ne semble pas intentionnel de la part réalisateur, plutôt fortuit. C'est sa capacité extraordinaire à nier la vérité, à se couper de la réalité. A tel point que je pense qu'il est en fait sincèrement convaincu d'être innocent. Pour être convaincant, il faut être soi-même convaincu. Sinon ça ne passe pas, ou au pire le pot aux roses est vite découvert. Or, Ted Bundy est extrêmement convaincant. Le genre de type qui pourrait vendre sans problème un réfrigérateur à des eskimos, tout en étant persuadé d'avoir commis une bonne action. Il est un menteur extraordinaire parce qu'il se ment à lui-même.
En effet, certains détails m'ont frappé. Par exemple, lorsqu'il s'enfuit de prison et contacte sa petite amie, bouleversée, terrifiée et en larmes, il lui propose tranquillement de partir pour le Canada et de continuer leur petite vie comme si de rien n'était, en oubliant tout ça et en échappant définitivement à la police juste en passant la frontière. Une solution qui est si peu réaliste qu'elle en est en fait enfantine. Je crois que Ted Bundy a au fond quelque chose de très enfantin, très naïf. Il ne se rend pas compte du mal qu'il peut faire. Pour lui c'est un jeu. D'ailleurs il mène le procès comme s'il s'agissait d'un jeu. Il s'enfuit à plusieurs reprises en jouant au chat et à la souris avec les forces de l'ordre. Il prend tout à le rigolade. Pour lui tout est prétexte à jouer, rire et s'amuser. Il n'est peut-être même pas conscient qu'au bout du compte il va mourir.
Un autre exemple, juste avant d'entendre la sentence qui le condamne à mort, il dit à sa nouvelle amie, qui vient de lui annoncer qu'elle est enceinte, qu'il revient tout de suite, que tout va bien se passer, qu'ils vont pouvoir vivre la vie de rêve dont il lui a parlé. Pour lui ce n'est qu'une formalité, il est persuadé qu'il va être acquitté, et libéré dans l'immédiat, comme si de rien n'était, et que tout sera tout de suite oublié. Il n'a aucune conscience de la réalité. A tel point donc qu'il n'a aucun respect pour la vie humaine, non pas par cruauté gratuite, mais parce qu'il ne se rend pas compte, pour lui ce n'est qu'un jeu. Comme un chat qui joue avec une souris jusqu'à la tuer, sans penser à mal, sans se rendre compte qu'elle est morte, juste pour jouer, en toute innocence. En fait il n'a même aucun respect pour sa propre vie, puisqu'à plusieurs reprises on lui offre la chance de commuer sa sentence de mort en détention à perpétuité, pour lui sauver la vie, à condition de reconnaître ses crimes, ce qu'il refuse obstinément.
Un second élément d'explication me vient tout de même. Ted Bundy veut être célèbre. A tout prix. On dirait que pour lui la popularité, être aimé par le plus grand nombre possible de personnes, est quelque chose de magique qui le protège de tout, peut-être même de la mort... Il affirme à un moment "les gens m'adorent, je suis plus connu que Walt Disney !".
Dans une Amérique où l'entertainement, le divertissement, le spectacle, est une industrie toute-puissante, le crime lui-même devient entertainment, excitant les foules. Inconsciemment, le serial killer a pu vouloir être arrêté (il laisse d'ailleurs de nombreux témoins, et lors de ses deux évasions les policiers n'ont aucun mal à le retrouver), afin de bénéficier d'une gloire conférée par ces meurtres inhumains. Une part de lui multiplie les actes manqués. On pourrait objecter qu'il se clame pourtant innocent. Mais je pense qu'il veut le beurre ET l'argent du beurre : la célébrité, mais sans la punition.
Mais ces deux éléments ne suffisent bien-sûr pas à expliquer comment il en est arrivé là. Je ne peux que supposer qu'il a vécu des traumatismes si terribles que pour y survivre il a dû développer (dès l'enfance) un mécanisme de défense consistant à se couper complètement de la réalité, n'en gardant que ce qui l'arrange, ce qui est agréable, et faisant totalement l'impasse sur tous les aspects sombres, subis par lui ou commis par lui.
Le film laisse donc un peu le spectateur sur sa faim, et surtout dubitatif, ne montrant qu'un jeune homme bien sous tous rapports, semblant innocent pendant tout le film, pour finalement ne reconnaître qu'in extremis les meurtres qu'il a commis, apparaissant soudainement comme un monstre.

Spellbound
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le 7 juin 2019

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