Boris et Zhenya ont peut-être un jour aimé l’idée qu’ils se faisaient l’un de l’autre. Plus probablement, ils ont sans doute aimé la concrétisation sociale que leur union pouvait représenter, aux yeux d’une société pour qui le confort et la sécurité sont des valeurs plus refuges que l’amour. Dans cette Russie passée de Pouchkine à Poutine, ils habitent un quartier dortoir sinistre et impersonnel. Sans vraiment le désirer, ils ont eu un enfant : Aliocha.


Une dizaine d’années plus tard, Boris et Zhenya ne peuvent plus se supporter, et ne parviennent pas à vendre l’appartement conjugal. Ils ont par ailleurs tous les deux déjà trouvé une autre « moitié », dont le caractère béat et soumis est autrement plus compatible avec leur respective égoïste idée du bonheur. Aliocha devient alors le fruit pourri qui symbolise leur escroquerie sentimentale, et pire, plus que l’appartement, il est l’obstacle à leurs mises à jour. Celles qui doivent à tout prix les rendre heureux, et ont pour principal enjeu d’effacer le désastre précédent.


Hors des réseaux sociaux, Aliocha n’a qu’un seul vague copain. Il est un enfant taiseux et discret, qui encaisse comme il peut les brimades de sa mère et l’absence passive de son père. En rentrant de l’école il joue parfois avec un ruban de chantier, et aime contempler une nature qui semble vouloir reprendre ses droits sur le béton et la déshumanisation qui l’accompagne. Un soir, il surprend une énième dispute de ses parents, où aucun d’entre eux ne semble prêt à assumer l’éducation et la future garde du fardeau. Le lendemain matin, Aliocha n’ira pas à l’école, et décide de disparaître.


Autant le dire tout de suite, j’ai un sérieux problème avec le cinéma de Zviaguintsev. Je le trouve d’abord trop souvent prisonnier de l’héritage de ses influences. Antonioni, Sokourov, et surtout Tarkovski. Si ces intouchables monstres sacrés du septième art ont chacun révolutionné leur sujet en leur temps, les oeuvres de Zviaguinsev souffrent de maux beaucoup plus graves que le classicisme : un académisme qui prend la pose, un manichéisme absolu toujours prompt à distribuer les anathèmes, une aigreur d’exilé qui a enfermé son pays d’origine dans les surenchères de la noirceur, une capacité d’esthétisation hors norme mais souvent incapable de produire un propos accessible et de sortir du stricte formel. N’est pas Tarkovski qui veut.


Malgré les éloges de ses pairs et d’un public festivalier fidèle, je me range donc du côté des critiques crédibles qui établissent la plupart de ses films comme de faux chefs d’oeuvre. Leviathan plus que tous les autres. En comparaison à ce dernier, je trouve que Le Retour est son film qui s’approchait le plus de la réussite totale. Car ce conte biblique et mystérieux où il était déjà question de cellule familiale, même s’il produisait lui aussi d’incalculables hommages à ses illustres aïeuls, servait justement un propos de fond moins définitif et bien plus subtil, allié à une esthétique sans failles puisqu’elle acceptait d’abandonner la gratuité et de servir quelque chose de beaucoup plus symbolique.


Je vais donc enfin en venir à pourquoi je considère Faute d’amour comme un film immense, comme le chef d’oeuvre dont je ne pensais pas le russe capable. Et ce pour des raisons au moins aussi subjectives que celles que j’avais pour détester la majeure partie de ses précédents.


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le 26 sept. 2017

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