Faute d'amour, notre monde se meurt.....

Après Mary et Le château de verre, ma semaine cinématographique s'est conclue par Faute d'amour. Le hasard a voulu que ces films abordent le même thème, à savoir l'enfance, mais sur un ton et un angle différent. Des états-unis à la Russie, un enfant reste un enfant mais se retrouve confronter à des adultes et une société ne le comprenant pas où ne voulant pas de lui. Dans Faute d'amour, c'est le côté sombre de l'humain qui va être sondé à travers la fugue d'un enfant.


Contemplatif. C'est ce qui se dégage de la caméra de Andrey Zvyagintsev. Il s'attarde sur la terre enneigée, les arbres qui l'entoure et les canards barbotant dans l'eau, puis se pose devant une école. C'est la fin de la journée et Alyosha (Matvey Novikov) va pouvoir rentrer chez lui en traversant les paysages vus auparavant. Chaque plan est soigné, maîtrisé et il s'en dégage une froideur aussi glaciale que cette mère castratrice (Maryana Spivak) enfonçant son fils en souffrance face à un couple visitant leur appartement ne dégageant aucune joie de vivre. Cette âpreté va nous happer et se fera ressentir jusqu'à la fin.


Le couple est en plein divorce. Le mari (Alexey Rozin) a eu plusieurs relations extra-conjugales. La femme trompée et bafouée a pris sur elle en acceptant cette situation, jusqu'à ce que l'une de ses maîtresses tombe enceinte. Toute la rancœur accumulée depuis des années, va se déverser sur l'homme mais aussi sur leur enfant. Les parents vont avoir la dispute de trop pour lui, celle qu'il va entendre tapi dans la pénombre de la salle de bain, le visage en larmes et criant en silence sa douleur. Ce plan va me hanter tout le long du film. Il va apprendre que c'est un enfant non désiré, un accident et qu'aucun de ses parents ne veut de lui. Ils en parlent comme si c'était un objet, un produit périmé, une denrée périssable, un poids et sa fugue est une réponse à ce désamour d'une violence psychologique insoutenable.


La mère est détestable. Elle ne voulait pas de cette grossesse, de cet enfant, de ce mariage et de ce mari. Pour oublier cette vie qu'elle n'a pas choisi, elle se réfugie dans son smartphone en mettant en scène sa vie et en regardant des émissions de télé-réalité. Sa superficialité est aussi consternante qu'effrayante. Elle ne pense qu'à son physique et à sa relation avec un homme plus âgé et fortuné. Sous ses charmes se cache une femme aussi hideuse que sa propre mère, qu'elle tente de fuir, tout en reproduisant le schéma vécu. Elle se comporte avec son fils, comme sa mère s'est comportée avec elle, en lui crachant sa haine au visage de cet enfant ressemblant de plus en plus à son mari.


Le père est égoïste. Il ne pense qu'à son travail et à son plaisir. Il voulait une famille pour son ascension sociale, mais il y a un prix à payer pour cela. Le divorce est mal vu et la séparation ne peut se faire que par une cause naturelle (à comprendre le décès d'un des deux). De ce fait, il papillonne, sûr de lui avant que l'une d'elles le coince à nouveau, le pauvre. Elle (Marina Vasilyeva) est aussi égoïste que lui, en le voulant à ses côtés alors que son fils est en fugue. On se retrouve à nouveau face au même schéma : il met "accidentellement" une femme enceinte et ne veut pas de leur enfant. Il continue de semer sa graine en ne pensant pas aux conséquences, à l'enfant qui va venir au monde. On tente bien de nous le montrer sous un jour meilleur, mais la dernière scène ne fait que confirmer le mépris de ce père pour sa progéniture.


En fond, l'actualité est aussi sombre que le cœur de ces adultes. Alors que la mère se complaît dans la médiocrité des émissions soi-disant de réalité, le père fait de même avec des journaux parlant des conflits, de corruption et d'assassinats. Il ne laisse pas de répit à son esprit en écoutant la radio annonçant la fin du monde dans sa voiture. Ils se polluent le cerveau en ne prenant plus la peine de réfléchir à ce qu'ils voient et à leurs actes. On a l'impression de voir des zombies, errant sur une terre aride en attendant que la mort frappe à leurs portes. Ils se perdent dans l'alcool, la drogue et la télévision pour tenter d'oublier la situation d'une Russie où règne le chaos.


Le portrait de cette famille est aussi celui d'un pays et de notre monde. Notre civilisation est en pleine décrépitude. L'argent est roi. Il pousse l'humain à l'individualisme et au matérialisme en le dépouillant de tout sens moral. La mère est détestable, le père exécrable et la grand-mère puante ne sont que le produit de notre société de consommation. Les adultes ont remplacés les croquemitaines. A la différence qu'ils n'attendent pas la tombée de la nuit pour venir les effrayer. Ils le font constamment et tel des ogres se nourrissent de leur candeur. Ils les détruisent et à travers eux, c'est l'espoir d'un monde meilleur qui est tué dans l’œuf. Cette spirale infernale ne semble pas être en mesure de s'interrompre. Le pessimisme est de rigueur à travers le regard clinique et âpre que porte ce film sur nous-même.


Dommage que le film s'empêtre dans les recherches pour retrouver le fils. Il perd un peu de son intérêt et de sa puissance, même s'il continue de délivrer des clés pour comprendre le comportement de chacun. Cela refroidi une atmosphère déjà glaciale et rend le temps long. La réalisation de Andrey Zvyagintsev est sublime, mais son esthétisme finit par devenir agaçante. On reste admiratif de son travail, mais sa perfection atténue un peu la portée émotionnelle de son oeuvre. Il prend son temps pour cadrer les corps qui s'enlacent, au point de faire de l'érotisme chic dans la luxueuse demeure de l'amant. Ces parenthèses ont un certain intérêt, en mettant en parallèle la vie sexuelle des deux nouveaux couples où le physique continue de prendre le pas sur l'esprit. Ils continuent de refaire les mêmes erreurs et vont revivre les mêmes situations, en attendant que la mort les libère de leurs carences affectives.


L'amour est mort, le constat est terrible. On nous le démontre avec une telle sécheresse, qu'on en oublie presque l'enfant. Le film est dénué de pathos, presque de musique et surtout de tendresse. C'est d'une telle âpreté, qu'on a envie de se rouler sous la couette avec des sucreries pour oublier la noirceur de son propos et de notre monde.

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le 3 oct. 2017

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Laurent Doe

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