Fenêtre sur cour est à la fois un des grands classiques de l’âge d’or hollywoodien et une œuvre ouvertement expérimentale. Avec ce film, Hitchcock a réussi à livrer une réflexion très fine sur le cinéma tout en réalisant un film à suspense comme il en dirigera beaucoup au cours de sa brillante carrière. A la différence des autres oeuvres du maître du suspense comme Mais qui a tué Harry ? ou encore Psychose, Fenêtre sur cour est en effet un film correspondant sans trop de peines aux canons "commerciaux" de l’époque : photo technicolor, couple de stars et scénario très enlevé unissant intrigue policière et comédie romantique. Un film qui, pris au premier degré, offre déjà un plaisir de spectateur immense. Les dialogues du film se révèlent drôles et efficaces notamment à travers les réparties de l’infirmière Stella, ou l’humour noir typiquement hitchcockien - les blagues sur le cadavre-. La richesse thématique du scénario est également impressionnante puisque le film passe en revu les différentes facettes de l’amour, au travers des habitants de l’immeuble : passion, jalousie, solitude, haine.. Au centre du film, on trouve ainsi un élément de l’intrigue qui n’existait pas dans la nouvelle originale : la relation complexe unissant Jeffries et Lisa. Avec Fenêtre sur cour, Hitchcock prend aussi le contre-pied des clichés traditionnels puisque le personnage masculin est bloqué dans sa chaise roulante, donc passif, alors que le personnage féminin est actif et prend l’initiative. Serait-ce, à sa manière, un film féministe d’un cinéaste que l’on a souvent qualifié de sadique vis-à-vis de ses personnages féminins ? Mais au-delà de cet aspect purement dramatique, le film vaut aussi bien sûr pour la passionnante réflexion qu’il propose sur le cinéma, réflexion doublée d’une prouesse technique puisque tout le film est tourné dans un seul décor, reconstitué en studio. En effet, Fenêtre sur cour est un film sur le regard, donc sur le cinéma, sur la fascination de l’image commune à tous les êtres humains. Le personnage de Jeffries est donc très riche : il est à la fois un voyeur-spectateur, un cinéaste et un cinéphile. C’est un voyeur : dès qu’il est seul, il ne peut s’empêcher de regarder indiscrètement par la fenêtre. C’est un cinéaste : il imagine et il met en scène une histoire. C’est aussi un cinéphile : il observe, il interprète. Fenêtre sur cour est donc un film sur l’amour irrésistible pour les images qu’éprouvent tous les êtres humains : le personnage de James Stewart entraîne ainsi progressivement dans son voyeurisme sa fiancée et son infirmière. "Nous devenons une race de voyeurs" dit Stella au début du film : nous sommes tous des Jeffries. Ce qui explique sans doute la fascination que le film continue d’exercer sur les cinéastes et cinéphiles du monde entier : David Lynch - dont Fenêtre sur cour était un des films préférés - n’a-t-il pas appelé le voyeur de Blue Velvet Jeffrey ? Ainsi, ce film de Hitchcok offre une vision nouvelle du cinéma dans un huis-clos alliant humour noir, thriller policier, et comédie romantique, avec un James Stewart extraordinaire et une sublime Grace Kelly. Un grand classique qu'on se doit de regarder.
Guimzee
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le 10 mars 2015

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Guimzee

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