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Encore un engouement que j'ai beaucoup de mal à comprendre. Le Règne Animal a beau avoir un concept original et rare dans le paysage du cinéma français, il ne fait rien de particulièrement intéressant avec et opte pour une mise en scène très banale qui ne raconte absolument rien.


L'intrigue a tout pour intriguer et pour conditionner le monde du film, dans une sorte de futur pas si lointain, qui frôle l'apocalyptique avec ce fameux gêne transformant les humains en créatures hybrides. On peut dès lors comprendre le message politique que souhaite faire parvenir le réalisateur : en adoptant ce contexte fantastique dans un film fait pour être populaire, il est question de sensibilité à la nature, aux hommes qui la détruisent. On peut aussi y lire un texte contre le racisme et la discrimination, avec ces quelques personnages voyant les créatures comme des non humains à abattre. Mais aussi, celui d'un rapport entre un père et son fils, qui ne parvient plus trop à s'entendre depuis que la mère a muté elle aussi. Bref, il y a un paquet de sous textes intéressants, qui peuvent plonger le film dans un univers qui pousse à la réflexion, tout en adoptant un ton divertissant alliant le drame, l'humour et le thriller. Mais le résultat rend le tout très plat. C'est le vide abyssal. La mise en scène de Thomas Cailley résulte d'une banalité affligeante dans la manière de raconter l'histoire. Avec un montage qui prend peu le temps d'observer et de regarder, et surtout, qui arrive à rendre les créatures inconsistantes. La façon de les filmer manque de danger, de fascination. On ne les sent pas réelles, derrière les CGI parfois mal planqués. La faute à un rythme beaucoup trop bancal, qui alterne champs contre champs sans jamais essayer de comprendre ce qu'on filme et ce que ça peut évoquer à l'image. La première séquence en est un bel exemple : charcuté comme pas possible au montage, dans un embouteillage, on suit un dialogue pompeux entre un père, cuisinier littéraire écolo, et son fils, qu'on a déjà du mal à croire, tant leur conversation est déjà un ramassis de clichés explicatifs. Mais la scène qui suit de l'homme oiseau qui sort de l'ambulance est symptomatique de tout ce qui va dominer le long métrage : l'absence cruelle de matière, la sensation de ne jamais rien voir quelque chose d'impressionnant ou d'effrayant. Cela est en parti dû au fait que le réalisateur ne semble pas vouloir ancrer ses créatures dans un contexte réaliste : tout dépassement qui pourrait sembler grave ou qui pourrait accentuer par exemple la méfiance des humains envers les animaux, est filmé soit comme une blague, soit sans conséquences apparentes. De plus, la plupart des conflits entre ces créatures et les humains sont vite évacuées dans le montage, ce qui fait qu'il n'y a jamais de tension apparente. Et surtout, la plupart se passe dans endroits très peu éclairés, avec des plans ultra serrés, ce qui fait qu'on ne saisit jamais non plus l'impact ou la potentielle puissance de ces bestioles.


C'est quand même dommage au vu du concept, qui se base surtout sur la fascination de ces créatures animales.


Concernant les personnages, les clichés continueront de faire avancer le récit tout du long, sans jamais établir une quelconque relation intéressante. Romain Duris adopte un surjeu théâtral, attend sa réplique après celle de l'autre, ce qui donne un manque cruel d'authenticité dans la relation avec son fils, joué par Paul Kircher, qui base son jeu sur des nuances plus intéressantes et discrètes. Mais il n'est pas aidé par la pauvreté des dialogues qui offrent une dynamique poussive, qui explique presque au spectateur ce que l'on doit ressentir à tel moment. Les scènes de classe sont l'apogée de cette pauvreté, qui ne parviennent jamais à créer une ambiguïté qui serait intéressante envers les élèves. On a direct le connard de service, la fille dont on sait qu'elle finira avec le fils, le militant éco+.. On serait presque dans une série Netflix. C'est d'un profond manichéisme qui ne va jamais questionner politiquement l'arrivée de ces créatures dans le monde avec un minimum d'ambiguïté et de contexte. Le camp des "anti créatures" est à peine représentée par des personnages adoptant eux aussi des comportements clichés de campagnards (accents forcés, dialogues abusifs et ridicules..) et n'ont aucune conséquence non plus sur ce qu'il se déroule. Jamais rien n'a d'impact sur le contexte du film.


Toute l'ambiance du film est très légère, ce qui n'est pas un mal, mais ce ne sont pas quelques séquences avec des visages qui pleurent qui changent la donne. Le film n'arrive pas à jauger l'humour et le drame familial qui en découle. On ne croit donc jamais vraiment à ce qu'on nous montre.


C'est quand même ça, le sujet de base : comment le monde irait dans cette situation ? Comment se forgerait les camps politiques et les familles ? Mais Thomas Cailley préfère ajouter des séquences remplies de vide avec des personnages qu'on aurait facilement pu placer dans un autre film qui n'a rien à voir. Et que dire du personnage d'Adèle Exarchopoulos.. gâchis pur et dur du talent de la comédienne, bloquée dans un rôle de gendarme sans aucune profondeur, qui semble n'être là que parce qu'il fallait quand même une femme, dans le casting principal. L'absence totale de spécificités dans le comportement des personnages fait que l'on ne peut pas croire non plus au monde qu'on nous montre et aux questionnements réellement angoissants que cela pourrait soulever. S'ajoute à cela des séquences qui, comme elles rentrent dans un récit peu original, sont prévisibles et apportent peu de surprises.


Les vingt dernières minutes sont très certainement celles qui donnent un minimum de consistance au film, puisque c'est la première fois qu'il va prendre son temps pour tenter d'y montrer une fascination inexpliquée dans la forêt : le calme de la nature qui reprend ses droits donne enfin un semblant d'âme qui s'extirpe un peu du cafouillis brouillon et vide que nous a servi le films pendant 1h30. On profite du silence. Quelques plans à l'image soignée donnent aussi un petit cachet de temps en temps, et Paul Kircher sauve le film, avec ce jeu hybride qui arrive bien à cacher des mimiques et un mal être. Mais Le Règne Animal tombe beaucoup trop facilement dans la facilité d'exécution. Son manque cruel de consistance, son récit mielleux et vu des centaines de fois, ses personnages à la ramasse et son message mal ancré dans la mise en scène, fait qu'il est très vite oubliable malgré son concept fantastique et original.

Guimzee
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le 5 oct. 2023

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