Fièvre
6.4
Fièvre

Film de Louis Delluc (1921)

Excepté quelques vues sur le port de Marseille, l'ensemble reste tout au long du film avec les mêmes personnages, dans un même lieu, un bar, ayant principalement comme clientèle des marins en escale. Et, petit à petit, sous les effets combinés et dangereux des rancœurs, des jalousies et de l'éthanol, la situation dégénère.


Le fait de situer tout cela dans un lieu clos, c'est une bonne idée. Et Louis Delluc sait utiliser la technique, c'est incontestable, pour filmer cet endroit. Sa façon de cadrer et son recours à l’ellipse discrète sont particulièrement digne d'éloges.


Dommage donc que la direction d'acteurs et l'écriture soient pourraves...


Oui, pour les acteurs, c'est concours de cabotinage à tous les niveaux. Mais la victoire en revient sans conteste à l'actrice fétiche (et accessoirement épouse !) de Delluc, Ève Francis (ayant l'air en plus de s'être maquillée en s'étant jetée un pot de peinture blanche au visage !), qui ne ménage pas sa peine en prenant les poses et les expressions de visage les plus outrancières.


Il faut signaler aussi des Asiatiques joués par des Caucasiens, bonjour la crédibilité ; ce qui ne fait que rendre encore plus ridicule le flashback du mariage.


D'ailleurs, à propos des flashbacks dans ce film, ils sont d'une inutilité remarquable. Le réalisateur n'a pas l'air de comprendre que le spectateur peut réussir par son imagination à visualiser certaines choses et que le recours au retour en arrière est soit pour éviter les longues plages de dialogues, soit pour plonger dans une hypotypose cinématographique. Par exemple, le marin et la propriétaire ont eu une histoire d'amour passée, paf, flashback de dix secondes avec les deux acteurs prenant les attitudes les plus ridicules pour montrer comment ils sont trop trop amoureux. Là, ce n'est la longue plage de dialogues, ni l'hypotypose.


Mais le pire, c'est l'écriture, mon Dieu, l'écriture. C'est Louis Delluc qui adapte une de ses propres nouvelles. On n'est jamais aussi mal servi que par soi-même. Enfin, il faut être juste, si l'intrigue n'a rien d'original, si c'est vraiment un drame un peu trop conventionnel, où plane implacablement et prévisiblement la fatalité, ça arrive à se tenir malgré tout jusqu'aux dernières minutes.


Mais ces dernières, mon Dieu... Il y a un meurtre, la police arrive sur les lieux. Dans la réalité ou dans le film d'un type qui en a un minimum quelque chose à foutre de la vraisemblance, les flics boucleraient les lieux, se mettraient à la recherche d'indices et interrogeraient un maximum de témoins après les avoir traqués (oui, la plupart d'entre eux se sont tirés sous l'effet de la panique !) pour savoir ce qui s'est exactement passé. Ici, les représentants de la loi se contentent de demander au premier clampin venu, flanqué sur le sol, qui est l'assassin. Ils ne vont pas chercher plus loin, c'est bon, ils ont leur coupable. Voilà, la protagoniste foutue, condamnée à subir le sceau implacaaaableeeeee de la fatalité sur la foi d'un seul et unique témoignage, sans avoir même l'idée d'en vérifier la véracité. Ce n'est pas comme s'il y avait eu une bonne dizaine de témoins, marins, prostituées et clients habituels, qui avaient assisté à la scène. Bref, Delluc s'est torché avec le principe de crédibilité.


Deuxième expérience décevante avec ce metteur en scène. Je vais finir par croire que ce qu'il y a de plus intéressant avec lui, c'est le prix qui porte son nom et son invention du mot "cinéaste" (ouais, c'est à lui que l'on doit la paternité de ce substantif !).

Créée

le 14 avr. 2021

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Plume231

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