L'Interdit, la Transgression : le Trouble d'une Frontière toujours un peu floue

"My Name is Mia Williams and my Number is 07.."


Cette courte phrase en guise de générique, et une vidéo sur laquelle Mia se filme en train de danser, sont son viatique pour une autre vie. Une vie dans laquelle elle pourra faire tout ce qu'elle voudra.
Elle danse bien, Mia. Et quand elle tombe sur une annonce du style "Nous recherchons de jeunes danseuses etc..", elle sait que ce chemin là va la conduire vers un ailleurs. Lequel? Ça elle n'a pas l'air de s'en douter, mais juste "ailleurs" que chez sa mère qui est à la ramasse, sa mère qui toute seule s'occupe pourtant d'elle et de sa petite sœur Tyler, tant bien que mal, comme elle peut, dans un contexte de déglingue intégrale. Ailleurs aussi que dans sa cité pourrie où toutes les filles qui traînent sont des "bitch" qui à ses yeux ne valent pas un clou. Un ailleurs dans lequel on n'attache pas les chevaux avec des chaînes, non plus!
On imagine bien que ceux qui ont publié l'annonce n'ont pas forcément des visées artistiques du plus haut niveau, mais Mia, du haut de ses 15 ans y croit, elle, et c'est tout ce qui compte.
Tout ce qui compte c'est son énergie. Une boule d'énergie pure qui semble la rendre indestructible mais aussi capable de tout.
Et pourtant elle est fragile, aussi. Dans ses sourires. Ses naïvetés d'enfant. Fragiles également les quelques rêves qui lui restent, ses trésors, ses secrets.
Un homme arrive dans le trio féminin que constitue sa petite cellule familiale : Connor!
Il est beau et terriblement sexy, tendre à la fois. Il a de l'argent, une voiture classe. C'est un adulte. Et surtout, c'est le nouvel amant de la mère de Mia!
Peu importe si on imagine immédiatement ce qui va entrer en jeu, peu importe si tout cela est prévisible. Après tout, n'est-ce pas le principal ressort du tragique que d'avoir conscience d'aller vers un destin funeste tout en étant incapable de l'éviter, un sort vers lequel, dans la plupart des cas, on se dirige même avec une certaine délectation?..
Si l'évolution de l'histoire est donc souvent prévisible on ne s'ennuie pas pour autant.
Parce que le film est toujours en balance entre interdits et transgressions. Entre les actes et leurs conséquences.
La violence : un coup de boule qui ensanglante le nez d'une bitch de la cité c'est un interdit transgressé, de ceux qui peuvent lui valoir un placement dans une institution pour ados rebelles. Pas grave, elle n'ira pas. Elle déchire la lettre dans laquelle on la convoque, sans la lire.
L'inceste : Un jeu trouble, qui n'en est pas un, tout en en conservant les apparences... Ira trop loin? N'ira pas trop loin?
L'enlèvement, voire l'assassinat : Encore une fois, ira-t-elle trop loin ou pas? Y-aura-t-il encore des portes de sortie?
Le grand mérite de ce film, mise à part la performance toujours très juste de Katie Jarvis (Mia Williams), mis à part également le regard toujours très tendre et sans jugements que pose la réalisatrice sur ses personnages, c'est de savoir rester à la limite, à la frontière. Sur cette frontière étroite au delà de laquelle les conséquences d'une transgression sont irréversibles!
Tant que l'irréparable n'a pas été commis, la réalisatrice de Fish Tank, Andrea Arnold, peut ainsi se permettre de conserver un semblant d'optimisme quant à la destinée de son personnage. Et peut-être que toute cette énergie qui parcourt Mia, sera finalement capable de la propulser vers un ailleurs meilleur. Un ailleurs moins tristement attendu!
Un exercice d’équilibre difficile, et très bien conduit!

Dwitt
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le 20 déc. 2016

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