Mes poings dans ta gueule, tu en veux ?

Il s'agit d'un remake de "La Fureur de vaincre". Par conséquent, je fais une critique en comparant les deux films et les deux acteurs principaux.

Jet Li et Bruce Lee, deux caractères et deux styles d'arts martiaux opposés. Le premier a l'esprit collectif (soucieux du devenir de ses co-disciples). Son art est plutôt académique, avec une gestuelle qui respecte les traditions et les valeurs ancestrales des arts martiaux. Il y a une constante retenue dans ses coups, et dans la maîtrise de soi. Le second est un individu incontrôlable avec une gestuelle moins traditionnelle, et une personnalité psychotique (voire narcissique).
Si les deux sont des prodiges, il est indéniable que le combat filmé a été révolutionné par le second. Mais Jet Li a apporté sa contribution, et sa propre vision. Lui, c'est la boxe du sud, forte et précise dans un espace court.
Après la seconde guerre mondiale, la pratique martiale avait disparu en Chine. Et c'est sa réhabilitation au début des années 80 qui a permis de révéler ce nouveau talent. Jet Li en élève virtuose a donc représenté cette nouvelle vague. Alors que Bruce Lee, c'est plutôt l'école de la rue (avec tout de même l'enseignement Shaolin enseigné de base dans toutes les écoles chinoises).
A la fin des années 60, Bruce, c'est l'héritier du cinéma cantonnais, le héros de la nation, l'enfant terrible qui a transgressé les lois du cinéma traditionnel de l'époque (des films respectueux de la tradition, avec cette fameuse règle d'endurer les coups plus que de les rendre). Et bien, il a rompu avec ces règles. Dorénavant, ça sera règlement de comptes avec tout plein de ressentiments. Le temps des films avec les costumes traditionnels est révolu. Dans les films contemporains, le kung-fu sert à tuer. Mais cela n'est qu'un détail en comparaison de ce qui va suivre...

Lee Jun Fan (de son nom d'origine) a concilié mise en scène et art martial, grâce à son sens de la composition hors norme. Bruce prenait le temps de marquer des pauses avec des ralentis, des temps d'arrêt juste après avoir donné un coup. C'était le style, et la pose (toujours comme il le fallait dans le cadre, comme s'il prenait des photos en quelque sorte). Ce n'était plus la caméra qui mettait en scène ses mouvements mais l'inverse. Il mettait ses mouvements en scène. Lorsqu'on visionne une scène, on ressent la violence retenue en amont du combat, puis cette violence éclate. Dans le découpage, il allie la vitesse des coups, et l'arrêt sur image une fois le coup porté.

Dans les deux films (se déroulant sous occupation de la Manchourie par les japonais), ils vont défier l'adversaire en solitaire. Ils se sacrifient pour leur école (bien que Bruce ne réfléchisse pas autant que Jet à ce propos).
A la manière des films de Chang Cheh (réputé pour la violence omniprésente), Bruce est violent dans "La Fureur de vaincre". C'est un fou, aveuglé par la vengeance, qui tue à mains nues. Aujourd'hui, dans un tout autre contexte, on ne verrait plus ce genre de violence incontrôlée.

"Fist of Legend" est plus politiquement correct. La haine aboutit à la rédemption. La morale a changé (film réalisé en 1994). Il y a même un retour au cinéma classique, moins débridé, moins déchaîné (et plus commercial selon moi) ! Bruce Lee représente l'expression des rancœurs accumulées par les chinois à l'encontre des japonais, il en est le symbole, tandis que Jet Li fait office de héros (d'ailleurs il ne meurt pas à la fin du film contrairement au premier).
Bruce Lee n'a pas besoin de chorégraphe pour ses combats, il les règle lui-même. Jet Li est un virtuose mais il doit en avoir un. Bruce ne pense pas quand il se bat. Il fait parler ses nerfs, et déclenche une violence sans limite avant de redescendre sur terre à la fin d'une scène de combat, c'est alors qu'il prend conscience de ses actes. Jet Li, lui, réfléchit pendant le combat, il garde une position morale, il se demande jusqu'où il doit aller pour vaincre l'adversaire, pour le corriger, mais sans intention de tuer. Il donne une leçon, sans se venger.

"Fist of Legend" est une oeuvre plus cinématographique, que l'on regarde avec distance. Tandis que "La Fureur de vaincre" nous absorbe, et nous hypnotise. Jet Li est plus rapide et plus précis que Bruce Lee, et son visage reste imperturbable même en plein combat. Cependant, il n'atteint pas la grâce aérienne de Bruce Lee, n'a pas ses miaulements, et ses déplacements de félins (le petit dragon attrape sa proie et il frappe avec sa queue).
Dans "Fist of Legend", on pénètre à l'intérieur des combats. La caméra est présente au cœur des combats (d'une performance incroyable) pour plus de dynamisme. Jet Li est flamboyant car il est érudit dans son art.
Dans "La Fureur de vaincre", on perçoit tous les déplacements des combattants. La mise en scène est épique. L'aspect chorégraphique est mis en avant. Les différences sont probablement dues au format de l'époque. Le héros est à l'intérieur de l'espace, et le film tourne autour de Bruce qui absorbe complètement la caméra.

Au final, la principale différence entre ces deux films concerne les caractères différents des personnages : l'arrogance de Bruce en opposition avec l'humilité de Jet (pratiquant l'art traditionnel avec le respect le plus total).
En ce qui concerne le jeu dramatique, "Fist of Legend" m'a semblé être caricatural. Bien que la relation entre Jet Li, et sa petite amie japonaise soit une bonne idée.
"La Fureur de vaincre", c'est l'histoire d'un gars qu'on a poussé à bout, et qui réagit comme un gamin sans prendre réellement confiance de ses actes.

Je n'ai pas autant aimé le remake que l'original. Peut-être parce que "La Fureur de vaincre" me rend nostalgique. J'ai toujours aimé cette rage de Bruce Lee. "Fist of Legend" possède des qualités indéniables mais insuffisantes selon. Tout ceci est subjectif après, je préfère le parti pris de l'ancien, ses couleurs, le format utilisé à l'époque.

"Fist of Fury" l'emporte sur "Fist of Legend".