Un cinéma au bord de la crise de nerfs.

J’ai découvert le cinéma de Bruno Dumont avec Flandres, il y a dix ans. Un choc à l’époque. Il s’est ensuite effrité dans ma mémoire en découvrant ce qu’il avait fait plus tôt, notamment La vie de Jésus, L’humanité qui restent à mon sens plus fous, plus sidérants. J’envisage de revoir tout le Dumont d’avant P’tit Quinquin, on verra si ceux-ci ont mieux traversé le temps et les visionnages que Flandres qui m’a cette fois semblé nettement plus boursouflé dans ses intentions, moins pertinent aussi sans doute parce qu’à sa manière il tente une incursion dans le film de guerre et que c’est clairement pas les moments les plus réussis du film.


 Le choix du genre n’est pourtant qu’un prétexte pour Dumont qui filme à nouveau sa terre natale, à savoir Bailleul et le quotidien de ce fermier un brin autiste sur le point de partir au front sans trop savoir pourquoi. On croit d’abord que le film sera construit comme Voyage au bout de l’enfer : Avant, pendant et après la guerre pour le dire grossièrement. Avec la distinction bienvenue qu’ici, d’une part aucun ornement (comme le mariage chez Cimino) ne vient combler les prémisses du départ, d’autre part Dumont choisit le montage alterné pour suivre Demester sous les bombes et Barbe restée seule à Bailleul.
Demester, comme deux autres de ses amis – qui n’en sont pas vraiment, même s’ils passent du temps avec les mêmes filles, dans le même bar – s’apprête à partir. On ne dira jamais où ils vont. A épurer à ce point la narration Dumont nous éloigne de ses personnages, oublie de créer de vrais visages qu’on voudra suivre mitraillettes en mains, qu’on aura peur de voir mourir. Parti pris louable pour ne pas tomber dans l’unilatéralité et montrer que l’horreur se situe des deux côtés, certes, mais Cimino réussissait aussi cela sans pour autant construire de héros.
Aux extrémités pas de doute, c’est du pur Dumont, mais j’ai l’impression qu’il avait autrement mieux traité cela (La solitude, l’espace) dans ses longs métrages précédents. Au centre c’est la guerre et Dumont se laisse parfois gagner par la saynète conceptuelle, illustrative comme des passages de cruautés obligés : Baston, embuscade, viol, torture. Ça ne fonctionne pas vraiment, pour la simple et bonne raison que c’est chaque fois trop court. Et c’est finalement tous ces retours sur Barbe, enceinte à Bailleul, qui s’avèrent les plus beaux, les plus surprenants aussi, avec cette histoire de nerfs qui lâchent.
Il serait par ailleurs intéressant de revenir sur le tournage du film, notamment sa partie tunisienne, cela permettrait de lever le voile sur son étrange (et pas toujours pertinente) construction – On apprend que Dumont a coupé énormément au montage, insatisfait qu’il était de la plupart des séquences guerrières – et de comprendre certaines disparitions : Un personnage sort clairement du film, on imagine qu’il est mort sous les bombes ou dans une exécution hors champ, après tout, venant de Dumont rien de bien surprenant. En fait l’acteur s’est tiré, en plein tournage, c’est aussi simple que cela. Dumont raconte qu’il adore ce genre d’évènement imprévu où il faut rafistoler comme on peut.
J’aime toujours le film, pour sa sécheresse, l’immensité du paysage des Flandres, le fait qu’il soit dépourvu de musique (quand Dumont s’en passait encore) et surtout parce qu’il m’aura permis fut un temps d’entrer dans l’univers d’un cinéaste atypique, courageux, mais c’est loin d’être la confirmation de la claque reçue à l’époque. Et puis j’ai vu la fin alternative. Je ne comprends pas pourquoi Dumont s’en est débarrassé, c’est tellement puissant, violent, avec le point d’orgue parfait de la métaphore de la barbarie amoureuse qui irrigue tout le film, Adelaïde Leroux qui explose littéralement de nerfs à t’en donner la chair de poule. Dommage. Cool qu’on ait la possibilité de la voir, néanmoins.
JanosValuska
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le 30 déc. 2017

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JanosValuska

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