Frankenstein ou l'héritage du promethée moderne

L’an 1931 avait été déjà été marqué par la sortie d’un film culte du cinéma d’horreur : « Dracula » de Tod Browning, l’adaptation du célèbre roman de Bram Stoker et du mythe des vampires qui allait donner lieu à d’innombrables suites et adaptations dans les décennies à venir. Quelques mois plus tard, c’était au tour de « Frankenstein », adaptation du tout aussi réputé roman de Mary Shelley, de faire son apparition sous la mise-en-scène de James Whale.


Le cas de « Frankenstein » est à mon sens très intéressant à analyser, surtout quand on le resitue dans son contexte en le comparant avec les films d’horreurs de l’époque. À une période où vampires (« Nosferatu »), monstres (« King Kong ») et autres créatures de légende (« The Mummy », « The Wolf Man ») faisaient hurler les spectateurs, « Frankenstein » se présentait déjà comme un cas à part.


L’originalité du projet ne tient pas tant du scénario lui-même (lequel présente en soi de nombreux raccourcis, incohérences et situations grotesques), mais plutôt à son aspect avant-gardiste, appliquant au cinéma gothique et romantique des années 1920-30 une dimension nouvelle - l’aspect scientifique - que l’on pourrait décrire comme les prémisses de la science-fiction ! Un aspect scientifique qui serait peu après ré-exploité de nouveau pour ses dérives dans « The Invisible Man » (1933) du même James Whale.


Si la créature de « Frankenstein » ne fait plus aussi peur qu’avant, elle soulève cependant toujours le même questionnement de nos jours. Un questionnement sur l’avancée de la science et les dangers de sa dérive. Ce questionnement, à la fois moral et scientifique, se pose également sur l’ambition (la cupidité) et les limites de l’être humain à être l’égal de Dieu dans sa faculté de donner vie. C’est là que le récit rejoint tout le paradoxe de l’histoire de Prométhée dans la mythologie grecque.


En regardant « Frankenstein » aujourd’hui, le spectateur se confronte cependant à la barrière rationnelle de la science d’aujourd’hui. En effet, il est tout simplement inconcevable de nos jours de pouvoir donner vie à une créature faite d’un puzzle de tissus humains morts en faisant s’abattre la foudre sur elle ! C’est pourquoi les adaptations plus récentes de « Frankenstein » ont eu cette tendance à s’écarter de l’aspect rationnel pour nous présenter la créature comme le fruit d’un univers purement imaginaire. La créature de Frankenstein devient alors un personnage mythique exploité pour son potentiel horrifique (relégué à l’état de simple monstre) ou son conflit d’identité (relation humain-créature).


Considérer la créature de « Frankenstein » comme un robot des temps modernes n’est cependant plus au goût du jour. Pour ce faire, des films comme la saga « Terminator » ont pris la relève, souvent avec une échelle plus « spectaculaire » et posant des questionnements plus pointus en matière de technologie (tel que cette application novatrice et tendancieuse qui fait l'objet du film « Her »). Mais on retrouve également le positionnement du film de James Whale dans des films très récents qui s’apparentent à l’histoire de Frankenstein, citons « Ex Machina » (2015) et « Morgan » (2016) . Alors que le premier a été bien reçu des critiques et des spectateurs et le second un flop important au box-office de cette année, ces deux films détiennent d'importantes similitudes, autant dans la forme que dans le fond. Ils présentent chacun l’arrivée d’un « visiteur » dans un centre scientifique isolé où des tests sont menés sur une nouvelle invention : un humanoïde-robot calqué sur l’humain, capable d’émotions.


Ces deux histoires font directement écho à l’épisode du Docteur Waldman rendant visite au Docteur Frankenstein avec Elizabeth et Victor dans sa tour isolée. Car, de la même manière dans les trois films, les scientifiques deviennent tellement épris de leur invention qu’ils n’en évaluent plus le danger et se retrouvent pris au piège de leur création, qui se rebelle. « Ex-Machina » et « Morgan » sont de parfaits exemples contemporains qui nous mettent en garde face à ces créations en apparence parfaites (représentées par de femmes belles et capables de relations émotionnelles fortes avec les humains) mais qui se révoltent contre leurs créateurs parce que ceux-ci les emprisonnent, les testent, les considèrent comme « autre » et menacent de les éteindre.


Au final, ce n’est non pas l’aspect monstrueux de Frankenstein (bien que son « look » soit devenu légendaire) qui fait la force numéro 1 du film mais bien son humanité, tout comme dans les récents « Ex Machina » et « Morgan ». Victime de toute une série de facteurs, la créature n’est pas plus dangereuse et méchante que les humains qui lui donnent la vie et qui sont prêts à la lui reprendre. Elle est tout simplement la proie de l’incompréhension humaine. Cette contradiction peut se résumer à un seul plan du film : le moment où la créature de Frankenstein apparaît pour la première fois, sortant de l’ombre et révélant son visage repoussant ! Une mise-en-scène destinée à effrayer le public qui prie pour que le monstre retourne dans son ombre et y reste, même s’il n’est pas doté de mauvaise intention. Parce que le public a peur de ce qui lui est étranger, parce que l’humain repousse par nature ce qu’il ne comprend pas…


La peur de l’inconnu est ce qui a toujours alimenté le cinéma d’horreur. Qu’il s’agisse de créatures de légende dans les années 30, de monstres extra-terrestres dans les années 50, de tueurs psychopathes à la Ed Gein dans les années 70-80 ou plus récemment du paranormal (qui alimente une grande majorité des films d’horreur de ces dernières années). L’inconnu fait souvent peur, mais n’est pas toujours forcément dangereux. Le fait de le remettre en question permet dès lors une double lecture de leur impact (prenez « Le Sixième Sens »).


Je terminerai mon analyse en comparant « Frankenstein » à un autre film récent sorti en 2013 : « Under The Skin » de Jonathan Glazer. On pourrait dire que « Under The Skin » est à l’abstrait et au conceptuel ce que « Frankenstein » était au gothique. Dans ce long-métrage où Scarlett Johansson campe une mystérieuse femme (une extra-terrestre ?) parcourir les rues à la recherche d’hommes à séduire, nous retrouvons là notre monstre de Frankenstein découvrant le monde : elle, qui est étrangère, va se mettre à observer et à expérimenter les êtres humains, tout comme la créature de Frankenstein expérimente avec cette jeune fille au bord de l’eau (ce qui est à mon sens la scène la plus démonstrative et forte de tout le film).


Ce côté expérimentaliste engendre toute une série de questionnements sur les différences, les comportements de société, le rapport au difforme, à l’a-normal, à l’handicap. Alors que ces deux « créatures » n’en sont qu’à leurs premières découvertes et constatations, elles finissent par être la cible de l’incompréhension des hommes


qui les rejettent brutalement et les neutralisent par le feu.


Et si une extra-terrestre était capable de compassion ? Et si l’esprit de la créature de Frankenstein n’était pas anormal comme en témoigne la grotesquement étiquette sur son cerveau volé ? Et si « l’autre » n’était tout simplement pas « humain » dans son fort intérieur au même titre que moi ?

Ciné-Look
8
Écrit par

Créée

le 9 déc. 2016

Critique lue 314 fois

Ciné-Look

Écrit par

Critique lue 314 fois

D'autres avis sur Frankenstein

Frankenstein
SanFelice
9

ALIVE !!!

Le monstre, enfermé dans le château, regarde vers le haut. Illuminé d'en haut, il lève ses mains vers un ciel qu'il ne peut pas atteindre. Puis, le professeur ordonne de fermer la trappe, et la...

le 29 sept. 2014

45 j'aime

13

Frankenstein
Docteur_Jivago
8

A Monster is born

Neuf mois après "Dracula" par Tod Browning, c'est au tour de "Frankenstein" de prendre vie à l'écran, ici sous la caméra de James Whale qui adapte l'oeuvre de Mary Shelley. Alors que le Dracula de...

le 15 oct. 2014

44 j'aime

11

Frankenstein
Ugly
7

Le Prométhée moderne

Je mets ce titre de critique (qui est le sous-titre du roman) en hommage à Mary Shelley, jeune romancière anglaise, épouse du poète Shelley et amie de Lord Byron, dont on s'est toujours demandé...

Par

le 6 oct. 2018

34 j'aime

15

Du même critique

La Maison de cire
Ciné-Look
7

Malgré ses défauts, "La Maison de Cire" est un objet de jouissance purement morbide et horrifique.

Même si les personnages et les dialogues n'ont pas grand chose d'attachant, et si le film s'inscrit dans la catégorie peu novatrice des slasher movies, "La Maison de Cire" est un objet de jouissance...

le 2 juil. 2013

16 j'aime

1

Automata
Ciné-Look
6

Un film intéressant sur l'évolution de l'intelligence robotique mais dispersif et manquant d'enjeux

Dans la lignée de grands classiques tels que "Blade Runner" et "Terminator", l'auteur-réalisateur Gabe Ibáñez nous propose sa version de l'intelligence robotique devenant supérieure à celle des...

le 2 nov. 2014

13 j'aime

Alien (OST)
Ciné-Look
10

Critique de Alien (OST) par Ciné-Look

Il existe deux versions de la bande originale d'Alien: celle utilisée dans le film et celle de l'album. En effet, Jerry Goldsmith avait composé de beaux thèmes musicaux pour le film, décrivant...

le 20 juil. 2014

7 j'aime

1