Le monstre, enfermé dans le château, regarde vers le haut. Illuminé d'en haut, il lève ses mains vers un ciel qu'il ne peut pas atteindre. Puis, le professeur ordonne de fermer la trappe, et la lumière qui inonde son visage plein d'espoir disparaît progressivement.
Bon sang, mais que de choses à dire sur ce grand film. Ce Frankenstein de James Whale est un régal, de la première à la dernière minute. Un régal d'esthétique, mais aussi d'intelligence.
Ce qui frappe d'emblée, c'est donc la qualité esthétique. La scène d'ouverture, qui se déroule dans un cimetière, implante tout de suite une ambiance expressionniste qui ne se démentira pas. En quelques images, Whale place son film dans la lignée de Caligari et Nosferatu. Ainsi, dans ce cimetière, il n'y a aucune ligne droite, tout est de travers. Et à travers une forêt de piques sombres apparaît l'inquiétant visage couturé de cicatrices de Fritz le bossu, l'horrible assistant de Frankenstein.
Puis, il y a le château en ruines, l'orage, toute une atmosphère qui rappelle le romantisme noir à la Radcliffe. Et la superbe scène de la naissance du monstre, un monstre qui, pour trouver la vie, doit s'élever dans les airs et aller à la rencontre des éclairs, c'est-à-dire de Dieu.
En basant sa mise en scène sur une esthétique aussi particulière, Whale pose son refus du réalisme : l'histoire se déroule sur un autre plan, celui de la mythologie, de la légende romantique, du symbolisme. Frankenstein, c'est Prométhée, celui qui crée les hommes, mais aussi celui qui vole le feu (le feu est d'ailleurs omniprésent dans le film, depuis la torche de Fritz jusqu'au moulin en flammes).

Ce qui est bien, d'un autre côté, c'est que le cinéaste évite le manichéisme idiot que l'on trouvera ailleurs. Le monstre n'est pas une horreur ambulante dont l'objectif principal est de tuer tout le monde. C'est un être sensible qui n'accepte pas d'être maltraité, enchaîné, fouetté, et qui ne comprend pas grand-chose de ce qui se passe autour de lui.
Très vite se pose la question du respect de la vie. Quand on voit le monstre enchaîné se faire fouetter, on pense facilement au traitement infligé à certains malades mentaux.
Et puis, le monstre n'est, concrètement, responsable de rien. Bien au contraire, on sent une grande empathie entre le cinéaste et la créature. C'est absolument flagrant lors de la mort de la fillette.
Et se pose également toute une question sur le déterminisme. Est-ce que, parce qu'il a un cerveau d'assassin, le monstre sera forcément un assassin ? Le meurtre est-il inscrit dans les circonvolutions du cerveau, est-il génétique, ou serait-il issu de tout un processus psychologique et/ou social ? Des questions d'une incroyable modernité.

Alors, il y a bien des défauts. Le personnage féminin, absolument indispensable à l'histoire, est pourtant bien nunuche. Et si elle représente bien une sorte de simplicité et de pureté et sert à offrir quelques contrastes intéressants, elle est quand même trop présente à mon goût. Quant au père Frankenstein, même s'il apporte un peu d'humour dans un ensemble qui, sinon, serait bien sombre, il n'a franchement pas un grand intérêt.
Mais la réalisation est maîtrisée et impose une superbe ambiance, le scénario ne cède à aucune facilité et Karloff est juste extraordinaire. Il n'est pas surprenant que le film ait marqué les esprits de générations de cinéphiles (après tout, tout le cinéma de Tim Burton est contenu dans ce film, depuis Edward Aux Mains d'argent jusqu'à Sleepy Hollow ; et on peut aussi y déceler Eraserhead, de Lynch, et tant d'autres films encore).

[deuxième film présenté aux classes de 4ème et 3ème dans le cadre de Collège au Cinéma dans l'académie de Grenoble cette année]

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le 29 sept. 2014

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SanFelice

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