La présentation de ce mythe s’insère dans l’idée du film-spectacle, annoncé par un personnage brisant déjà en 1931 le quatrième mur qui sépare le spectateur de l’œuvre. L’évocation d’une histoire affreuse à venir pouvait peut-être à l’époque en faire fuir plus d’un mais nous nous doutons qu’aujourd’hui, dans un siècle régit par la médiatisation de la violence, plus rien ne choque dans le Frankenstein de James Whale. La présence discrète de l’idée d’une créature dès le générique fait naître chez le spectateur soucieux l’envie de connaître la ‘gueule’ qui l’incarnera, mais le souci d’en cacher l’apparence jusqu’à sa future apparition laisse entrevoir en filigrane une interrogation sur l’acteur jouant le rôle symbolique du film.


L’enterrement qui ouvre ce conte horrifique permet déjà d’introduire les protagonistes phares et leurs dilemmes moraux. Le docteur - savant fou presque, pourrait-on dire – épie ainsi la cérémonie funèbre accompagné de son assistant hideux (les archétypes du genre sont bien prédéfinis). Il est question dans cette œuvre de donner raison au sens de la vie en jouant de sa contradiction, les morts ne sont pas voués à reposer en paix mais bien à être déblayés du sol à peine la dernière motte de terre fraîche finissant d’être déposé par le fossoyeur. Le premier acte met donc ses personnages principaux à la recherche des éléments qui constitueront leur création par la suite, la reconstruction mécanique d’un corps humain en étant le but ultime. Dans cette quête macabre la mort se retrouve dérangée par les pérégrinations scientifiques, farfelues, de ceux qui voudraient dépasser les frontières du pouvoir divin en créant la vie de leurs propres mains. Cette effroyable pensée, péché s’il en est, invoque la tragédie à venir qui se retrouve sublimée par le retentissement des orages semblables à la colère d’un être supérieur.


Le monde désertique et rocailleux de cette contrée semble tout droit sortie d’une représentation des Enfers de Dante, on peut en s’y baladant trouver des pauvres gens pendus aux structures. Autant que les cadavres qui parsèment cette histoire, les motifs des vanités inspirent au spectateur la vacuité de cette recherche scientifique qui déjà s’obstine dans le chemin de la déraison. Une route qui pour le docteur Frankenstein trouve sa place dans cette tour de pierre, lieu de folie symbolisée par sa structure bancale de part en part. Dans cet obscur endroit, nid d’un laboratoire perché, malmené par des expérimentations, le rôle patriarcal du savant prend son sens, il est temps pour lui de donner vie et de jouer sa fonction de créateur. Ambition peut-être trop cupide qui se trouvera vite être pour Henry Frankenstein le lieu d’un abandon simple, faute de pouvoir assumer les conséquences de ce que signifie mettre un être au monde.


La place du monstre dans cette histoire est ambigüe, où se trouve la norme d’un être vivant, humanoïde qui plus est ? Whale décide de jouer de cette parabole en insistant sur la signification même d’une humanité, Frankenstein se prend dans sa décadence un reproche tel que : « Henry you’re inhuman, you’re crazy » (« Henry tu es inhumain, tu es fou »). Au même titre la séquence où le cerveau de la créature sera volé fait l’état d’une situation rocambolesque lorsqu’un docteur universitaire présente à son auditoire deux cerveaux identiques en signifiant que l’un est celui d’un homme tout ce qu’il y a de plus normal quand l’autre appartenait à un monstre, un meurtrier inhumain.
Même si l’on peut reprocher un jeu d’acteur assez crispé (explicable par la sortie très récente de l’aire du muet), celui-ci peut jouer en la faveur d’une histoire qui dépeint un univers aussi ambivalent. Avec un docteur aussi tordu psychiquement que son assistant ne l’est physiquement et une créature au visage endolori, aux mouvements complexes et aux bruits gutturaux.


C’est finalement une vision presque christique qui se joindra à la naissance de l’être impur qu’est la créature de Frankenstein: son corps inanimé tout d’abord élevé vers le ciel puis finalement sa redescente sur terre. La lumière est sensée mener la créature à la raison mais celle-ci se retrouve vite à tuer dans sa folie liée à son incapacité de se faire comprendre d’un monde au prisme de vision décalé. Ainsi la rencontre du monstre avec une jeune fille aussi innocente que les pâquerettes qu’elle ramasse marque le drame social convenu de l’œuvre ; l’incohérence du monde dans les yeux de cet humain inachevé le pousse à jeter l’enfant dans la rivière en pensant qu’elle flottera tout autant que les fleurs qu’elle fait glisser sur l’eau.


La figure sombre et menaçante de la créature sur le ciel grisâtre désigne ainsi l’ombre de l’humanité incomprise par un peuple qui ne demande que vengeance.


C'est comme cela que la conclusion tragique mène le récit vers la mort présumée du créateur et de sa création, sans aboutir avec finalité un scénario qui ne demande qu’à parler davantage.


Dans une vision fantasque de la société et de ses dérives, cette représentation fait l'allégorie d'une mort qui côtoie aussi la joie de vivre en chaque instant. Frankenstein c'est finalement la vie d’un être poursuivi pour des défauts prévalant sur le lien intime qui pour toujours lie un scientifique vertigineux et son fils bâtard né dans un monde qui jamais ne fera de place pour lui.

Louis2Sousa
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le 8 mai 2019

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Louis De Sousa

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