Une excellente mise au scène au service de l'expression de la banalité

La dernière fournée du prolixe F. Ozon surprend tant il a su allier académisme et audace formelle. La parfaite construction symétrique, la maîtrise de la narration et l'apport de la métafictionnalité pour contrebalancer le tragique témoignent d'une œuvre réussie. Cependant la qualité de la mise en scène n'efface que partiellement la banalité du thème tragique de l'amour impossible placé dans un contexte trop souvent abordé, n'apportant somme toute aucune nouvelle pierre à l'édifice.


Scindé en deux parties, la première en Allemagne et la seconde en France, Frantz repose sur une construction symétrique où les personnages d'Anna et d'Adrien Rivoire entretiennent de savants jeux de miroir signalant les liens de proximité les unissant, comme une ombre à un corps. Alors que dans un premier temps Adrien, Français en Allemagne, subit la colère et l'hostilité des voisins hier encore ennemis de guerre, Anna éprouve les mêmes difficultés d'acceptation lors de son séjour en France. En outre, ils sont tous les deux hantés par le même fantôme – certes pour des raisons différentes puisque celui-ci représente la mort chez l'un et l'amour chez l'autre – ce qui, en plus de rapprocher par un génial tour de force narratif ceux que tout doit opposer, enrichit l'intrigue d'un intéressant triangle amoureux bâti autour d'une dialectique absence / présence.


L'art narratif d'Ozon est donc nettement maîtrisé. Outre le scénario impeccable, fortement inspiré il est vrai de L'homme que j'ai tué d'E. Lubitsch, les dialogues, écrits en collaboration avec Piazzo - critique chez Libération, scénariste et dialoguiste – s'avèrent toujours très efficaces. La subtilité de leur écriture frôlant la perfection s'accorde avec la puissance suggestive du non-dit que veut révéler Adrien Rivoire. Grâce à ce secret insoupçonné, véritable nœud de l'intrigue (tout du moins de la première partie), le spectateur voulant le découvrir voit s'ouvrir le champ des possibles et est intelligemment guidé vers de nombreuses interprétations. Voyant cependant celles-ci tour à tour s'effondrer, habilement pris à contre-pied, il reste accroché à l'histoire dans l'attente de la révélation d'Adrien qui est à chaque fois reportée et est donc emporté dans un suspens le tenant en haleine - de même que dans la deuxième partie, en France, il s'impatiente de connaître le dénouement de la nouvelle rencontre entre Adrien et Anna.


L'ambiguité des sentiments de ces derniers lors de la deuxième partie tranche avec la simplicité de ceux-ci lors de la première. En effet, certaines scènes abordant la mort de Frantz illustrent abondamment les souffrances intérieures de ceux qui sont restés, au risque de les rendre pathétiques. Ozon joue d'ailleurs sur cette corde sensible aux résonances romantiques - rappelant la poésie de Verlaine si souvent citée dans le film - sans fausse pudeur voire même avec un certain voyeurisme lorsqu'il filme en gros plan les larmes qui coulent sur le visage d'Anna. Cette dernière, incarnée par une Paula Beer au jeu d'une troublante justesse et d'une maturité si déconcertante au vu de son jeune âge, embrasse son destin comme une fatalité dont elle ne peut échapper, ce qui la pousse à tenter l'acte ultime, tout comme selon ses confessions Adrien, en écho avec le tableau de Manet si souvent évoqué. Cependant Anna parvient à s'extraire de ce drame intime - quoique si collectif en ces temps de guerre – grâce à la porte de l'amour mais surtout grâce à celle de la fiction. En effet, la création d'une nouvelle histoire dans l'histoire réellement vécue à travers son récit imaginaire et la réécriture des lettres reçues contribuent à lui offrir un autre chemin auquel, désespérée, elle ne croyait plus. Par conséquent, avec la citation d'oeuvres d'art ou d'auteurs, cette narration dans la narration apportent une dimension métafictionnelle au film - qui est lui-même un palimpseste puisque réécriture d'un autre film – et démontrent une qualité et une intelligence d'écriture louables. De quoi combler, en partie, le thème trop convenu et la trop grande inspiration – à la limite du plagiat – prise ailleurs.

Marlon_B
7
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le 19 janv. 2017

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Marlon_B

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