Certains films marquent plus que d'autres...mais "Gangs of New york" fait partie de ces rares films que je pourrais revoir régulièrement sans ressentir aucune lassitude. Expliquer pourquoi ce film est un véritable chef d'œuvre est plus complexe qu'il n'y paraît... Evidemment, la direction artistique est somptueuse : les vêtements d'époque, le style architectural du New York de l'époque...rien que ça suffit à me mettre des frissons à chaque fois que je pose les yeux sur ce film et suffit à mon plaisir...c'est une véritable fresque historique qui prend vie sous nos yeux ébahis pendant deux heures et demi environ. Ajoutez à cela une performance olympique de la part de tous les acteurs et un Daniel Day Lewis impérial qui parvient pratiquement à éclipser Di Caprio par son jeu habité et saisissant et vous obtenez déjà les arguments pour faire de "Gangs of New York" l'œuvre la plus aboutie de toute la filmographie du maître (mais pourquoi diable Lewis n'a pas eu un oscar pour une telle prestation??? Quel méchant charismatique!).


Non...curieusement "Gangs of New York" ne doit pas son statut de film grandiose et inoubliable à ses nombreuses qualités artistiques qui le placent déjà au dessus de la concurrence mais à son scénario qui est prétexte à une exploration de thématiques aussi universelles dans leur portée que dans leur profondeur. Du combat sanglant entre gangs ennemis d'une violence insoutenable du tout début du film à cette scène de conclusion bouleversante où l'on voit New York grandir de manière accélérée au fil des années (rien que de penser à ce plan j'en ai des frissons et je crois qu'on tient là un des plus beaux derniers plans de film de l'histoire du cinéma si ce n'est le plus beau...), le film aborde tout. Et quand je dis bien tout je veux dire par là qu'il n'oublie rien : la vengeance, la jalousie, la rivalité, l'amour, la bienveillance, le drame, la guerre, la cruauté, l'injustice, la violence, l'amitié, l'identité, la religion, la filiation, le sexe, le racisme, la discrimination...je pourrais énumérer encore une multitude de thèmes car le film les aborde tous avec succès et sans aucun problème de cohérence...


La grande richesse thématique du film (qui ne cesse de révéler ses subtilités après chaque visionnage) possède tout de même un fil conducteur : la quête de vengeance d'Amsterdam (Di Caprio) qui, en voulant être au plus prêt de l'assassin de son père se retrouve dépossédé de son identité. Le film parvient à explorer pendant un certain temps les tiraillements du personnage principal, Amsterdam, pris entre deux feux : entre la nécessité de s'oublier dans son identité pour se fondre dans le décors d'un Bill le boucher grand patron des "Five points" (faubourg de New York où Amsterdam a vu son père périr sous les coups de celui-ci) afin de survivre et son sens du devoir à l'égard de l'homme de valeur qu'a été son père... Se met alors en place une dialectique : le fils doit continuer le combat du père qui a péri pour avoir épargné son ennemi, mais alors l'ennemi deviendra momentanément père de substitution du fils et le père de substitution le pire ennemi qui soit notamment en faisant subir au fils ce que le père (son ancien ennemi) lui fit subir...le mutiler puis l'épargner afin qu'il vive dans la honte. Cette quête initiatique amène Amsterdam à faire des erreurs vous l'aurez compris, à chuter, à se relever...à évoluer dans un New York souvent crasseux et hostile en dehors des beaux quartiers bourgeois sans jamais délaisser totalement ses origines. La haine de l'autre et notamment de l'étranger, qu'il s'agisse de l'immigrant irlandais ou du "nègre" (selon les dires des personnages racistes du film) à peine débarrassé de l'esclavage est persistante...il pose le problème de l'acceptation de l'autre et du problème intemporel qu'a l'homme à accepter son prochain malgré ses différences (surtout dès qu'il s'agit d'immigration et de communautarisme).


Le clou du spectacle reste sans doute cet acte final qui est la conséquence d'une épée de Damoclès suggérée tout au long du film par le contexte de la guerre de sécession : l'enrôlement massif des pauvres devant servir de chair à canon finit par créer une insurrection d'une violence extraordinaire et Scorsese retranscrit sans aucun chichi et avec un génie filmographique effrayant un événement historique rarement évoqué... La mort frappe alors les citoyens de New York...le sang se met à nouveau à couler dans les rues...la haine et les conflits insolubles entre natifs et irlandais sont alors rattrapés par un destin inéluctable et plus grand qu'eux-mêmes qui renvoient les personnages du film à la misère de leurs petites personnes et de leurs petites guerres intestines : pauvres, immigrés, riches, amis ou ennemis, à la fin ça ne compte plus...tous sont égaux face au carnage et à la mort qui réconcilient dans le bruit et la fureur ceux qui jusqu'à présent ne pouvaient cohabiter.


La postérité oubliera qui étaient ces hommes et ces femmes "ayant vécu et périt en ces jours de fureur" selon les mots même du narrateur Amsterdam...mais côte à côte les deux anciens ennemis et chefs de gangs gisent tandis que New York ne cesse de grandir... 140 années passent mais les problématiques issues du film et le tragique de l'existence sociale de l'être humain demeurent.


Un joyau éternel du cinéma.

Venomesque
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le 21 févr. 2021

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