Gerry
6.7
Gerry

Film de Gus Van Sant (2002)

L'expérience du vide // Attention SPOILER!

On lit souvent que Gerry est un film expérimental et c'est vrai. A chaque vision du film, je vis une expérience cinématographique qu'il m'a été rare de retrouver dans d'autres films.

Le vide narratif peut en dérouter plus d'un car il ne se passe absolument rien! Deux hommes décident de faire une randonnée dans le désert, puis de s'écarter des chemins balisés et ils se perdent. Gerry est l'histoire de cette perdition, cette perte de repère dans un décor qui n'en a aucun. Les personnages marchent dans un paysage qui s'épure, cherchant une direction, un sens où il n'y en a pas. Ils sont perdus dans un labyrinthe ouvert et infini. Et plus le film et les personnages avancent, plus le désert se vide, plus le décor devient paradoxalement oppressant.

Au départ, ce sont les personnages qui sont perdus, ensuite vient le moment où nous aussi, spectateurs, faisons l'expérience de cette perdition.
Gus Van Sant réussit à nous faire perdre nos habitudes visuelles, en jouant notamment avec les échelles de plans. En faisant une juxtaposition de gros plan suivi de plans d'ensemble fixe, et vis-versa, il laisse le spectateur face à l'immensité du paysage, à la finitude d'un monde sans âge et sans limite. Sans corps dans la champs, nous n'avons aucune idée de la taille des éléments : est ce un rocher ou un simple caillou, une montagne ou une colline? On est incapable de donner une dimension à ce que l'on voit! Nous sommes face à un champs visuel, sans hors champs, sans contre champs: nous voyons tout et pourtant il n'y a rien.

Il en est de même pour la temporalité. Au début du voyage, le rythme de la journée est perceptible. La couleurs du ciel qui s'échauffe marque le crépuscule, puis tombe la nuit. Mais dès celle-ci passée, les Gerry enchainent des déserts de plus en plus "désertique". Il n'y a plus aucun signe de la temporalité. On n'a plus aucune idée du temps qui passe. Le réalisateur nous a enlevé tous les signe de ponctuation, de respiration. Nous sommes plongés dans un monde où les lieux se suivent mais ne se ressemblent pas, où le silence et l'absence de vie s'impose à nous.

Le vide se crée, le monde se vide pour au final devenir un page blanche (le désert de sel), un plan sans profondeur. Les Gerry sont devenue deux ombres, sans vie à la démarche mécanique. Le désert a pris possession de ses êtres, les vidant de toute humanité.

Personnellement, je pense que Gerry est le reflet d'une jeunesse en perte de repère.
Alors qu'ils avaient une route définie (au début) ils ont voulu s'en écarter pour faire l'expérience de la liberté. Mais en voulant s'affranchir des règles, ils vont se perdre géographiquement, psychologiquement et enfin pour l'un d'entre eux physiquement. Au final, ils vont faire l'expérience de la perdition et de la mort.

Comme je le disais au départ, nous aussi, spectateurs sommes perdus. Gus Van Sant nous a ôté tous nos repères de spectateurs (rien que par la suppression du scénario, puis les éléments spacio-temporels) pour nous faire ressentir la sensation du vide.

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Pour finir, on peut juste remarqué que l'avant dernière séquence (la mort de Casey Affleck) est inspiré de la séquence finale des Rapaces d'Erich Von Stroheim.


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le 27 janv. 2011

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KatellF

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