La mise en scène du point de vue : dichotomie entre l’artiste et le technicien

Fan inconditionnel du genre horrifique ainsi que ses substrats que peuvent être le paranormal, le slasher, le gore, le psychologique, le mindfuck et j’en passe… J'aime prendre un malin plaisir à fouiller, creuser et déterrer toutes sortes d’œuvres qui va pouvoir bousculer mes sens, ces œuvres qui font peur, mais surtout qui dérangent et qui interrogent.


L’entrée de la France dans le cinéma horrifique


Alors allons droit au but. J’ai visionné ce film non pas pour son titre, son affiche ou bien son synopsis, mais spécialement pour ces quelques lettres en capital que sont PASCAL LAUGIER. Je ne suis pas fan du cinéma français, je fais partie de cette communauté ignorante qui ne sait toujours pas que c’est le cinéma de référence, le cinéma des lumières, le cinéma divin, le vrai cinéma d’auteur… A vous de voir si je suis passé en mode ironie automatique ou non. Ah ! Et, je ne suis pas fan non plus de Pascal Laugier, mais… Un « mais » intervient durant l’année 2008, une époque durant laquelle je me suis visionné tous les grands classiques d’horreur, l’horreur de toute horizon, l’horreur de tout auteur et tout style. Et parmi ces derniers, la découverte étonnante je faisais, d'un certain Martyr !


L’effet Martyr


Mon expérience avec Martyr est très spéciale. 10 ans auparavant, je ne me permettais de m’aventurer dans l’horrifique made in France. Tous mes repères, mes habitudes et mes codes pour apprécier l’horreur étaient issus du cinéma hollywoodien, celui du soleil levant et de nos camarades hispaniques. En panne d’idée, je jetais jadis mon dévolu sur deux nouveaux films énigmatiques : Frontières de Xavier Gens et Martyr de Pascal Laugier. Et parce que j’entends parler français, j’ai arrêté très stupidement le visionnage de Frontières. J’ai, de manière bien hasardeuse, laisser une chance à Martyr, qui je croyais plus… Américanisé. Qu’est-ce-que j’étais C…. Et donc à ma grande stupeur, Martyr est non seulement un film d’auteur, mais un film français dans tout ce qui a de plus français, complètement affranchi des standards américains et industriels. Comme si ce n’était pas suffisant, c’est un film qui m’a bouleversé, je suis passé par plusieurs stades. Dans le premier, je le rejette complètement de par son caractère trop prêchi-prêcha, avec des actes et des transitions que je trouve mal travaillés. Dans un deuxième temps j’ai adoré, puisque ce dernier repousse des limites que seul très peu d’auteurs avaient vraiment franchi sans vendre uniquement et gratuitement du gore. Il en a été le cas auparavant avec le britannique Tom Shankland, et son Waz (2008) malgré ses bien nombreux défauts et Michael Haneke, et ses Funny Games (1997, 2007). Pour Martyr, tout mon attention s’est ensuite portée vers cette mise en scène un peu crade, unique en son genre, dérangeant et surtout ce final fort de sens. L’identité du film réside pour moi dans sa dernière partie, cette partie qui fait clairement la différence et qui glorifie le genre… J’en étais venu même à chercher des légendes urbaines et des témoignages glaçants sur le sujet du martyr. Pascal Laugier m’avait eu en plein dans le mille, et m’avait permis de me plonger dans quelques une de ces œuvres françaises plus ou moins intéressantes, Sheitan (2005), A l’intérieur (2006), Vertige (2009) et bien sûr je redonnai ma chance à Frontières (2007).


Analyse en appui sur l’interview de Pascal Laugier, sur Ghostland


Introduction bien utile je vous assure, pour argumenter ce nouveau, sympathique mais bien moins plaisant Ghostland. J’espère alors revoir Monsieur Laugier me titiller une fois de plus le bulbe comme il savait bien le faire avec cette fois-ci Ghostland, une œuvre hybride entre le slasher, paranormal et thriller/psychologique. Verdict ? A mon humble avis, cette œuvre est bien trop surestimée. Surestimée parce que c’est un français engagé qui se débat pour diversifier le cinéma français. J’ai comme l’impression, que le fourbe, m’a fait apprécier son film, avec ses quelques interviews dans lesquelles il développe sa vision et ses points de vue en tant que cinéaste. C’est là que la question se pose… Doit-on évaluer et apprécier une œuvre indépendamment de ce qu’il se passe dans son environnement extérieur, ou faut-il voir tout ce qu’il se passe à l’extérieur de l’œuvre même (théories de fans, interviews, anecdotes de tournage etc.) ? Une œuvre ne doit-elle pas se suffire à elle-même ? En absence de réponse concrète, je vais donner une analyse rapide en m’appuyant sur une interview du réalisateur. Je vais partir du postulat que s’il m’a fait mieux apprécier son film, beh tant mieux non ? Monsieur Laugier explique travailler avec son instinct, collaborer uniquement avec des artistes et non des exécuteurs et techniciens, afin d’apporter une identité et une expérience qui lui est personnelle, qui le représente si on s’attarde aux différentes lectures qu’il est possible de faire du film ; relations fraternelles et dichotomiques et références littéraires et cinématographiques. L’art, je le perçois : jeter un œil attentif à cette mise en scène transpirant l’ambiance Stephen Kinguien, cette atmosphère crade que l’on retrouve dans Martyr, ce casting et cette direction artistique auxquels j’ai grandement adhéré (y compris Mylène Farmer). Les tueurs et leur personnalité sont cools et les effets sonores sur l’un d’eux, représenté symboliquement comme l’ogre du conte horrifique, sont vraiment superbes !


Je trouve ainsi que l’intrigue et la chronologie des événements sont mieux travaillés que ceux de Martyr, mais la prise de risque et l’originalité se voient complètement absent à Ghostland City. Laugier, parle de totale invention ou presque. Mais ses références cinéphiles bien trop encrées en lui, l’handicapent malgré lui. Ce film est un amas de références assumées ou non de bien nombreux classiques… Le tueur en herbe transgenre et son compère enfantin attardé mental… Tobe Hooper et Jonathan Demme bonjour ! La camionnette arrivant face camera, de rien Victor Salva. Et parlons en de ces scènes d’une banalité sans nom. Celle du flic qui est à deux doigts de sauver les victimes, avant de se faire à notre grande surprise, dégommer par le tueur. La structure des scènes horrifiques étant tellement pompeuse qu’on en vient à deviner les issues, déconstruisant de fait tout effet de surprise. La réussite résidera alors dans ce twist satisfaisant, qui sera la seule surprise, heureusement, faisant de la normalité une illusion et du cauchemar une réalité. Ah c’est bien, pousse en l’air !!! Néanmoins, le premier acte dans lequel joue les actrices adultes est mal travaillé, le cinéaste ne joue pas assez avec le spectateur sur les indices, les objets, tout cela n’est pas assez long, approfondie, diminuant de fait l’effet de surprise quant au retournement de situation. Laugier a tout plein de décors mais peine à profiter de son environnement. C’est dommage. La camionnette, les poupées, les horloges, les photos étaient davantage à exploiter. Mylène Farmer reste trop en arrière, je pensais qu’elle allait jouer un rôle central dans la lutte physique et psychologique auxquelles sont confrontées les deux sœurs. Et puis en fait, non. Bon dommage. Mais bon, Laugier est une tête brûlée, il n’écoutera jamais puisque ses histoires sont intrinsèques a son vécu et ça se voit, il ne veut vendre un produit, mais une expérience, son expérience intime et singulière. C’est son point de vue, il ne le changera pas. Dans ce cas, ses prochains travaux, ça sera pour moi, pile ou face, ça passe ou ça casse. Il prend des risques et j’aime ça. Mais qu’il fasse attention à son profil trop fan-cinéphile.


Bon film néanmoins. Je vais continuer de suivre le travail de Pascal Laugier, mais attention. Il risque de commencer à faire dans une moindre mesure, ce que font les industriels techniciens comme ils les appellent. On en voit des fragments d’indice dans Ghostland. Mais au final tout cela est-il si binaire ? Il y a-t-il les artistes d’un côté et les techniciens de l’autre ? Ne peut-il pas avoir des génies, machines de cinéma, comme l’ont jadis été ces titans du fantastique et de l’horrifique de la stop-motion, le siècle dernier, pour donner que cet exemple ?


Interview : Paris, Park Hyatt Vendôme, le 9/03/2018: https://www.youtube.com/watch?v=oSI0BCfXo18

Jordan_Michael
6
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le 1 juil. 2018

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