Il y a ceux qui vous diront qu’« Incassable » était un film audacieux ; un film qui a ouvert une voie dans le monde du cinéma.
Et puis il y a les autres ; ceux qui vous le poseront comme le début d’une faillite interminable pour un auteur pourtant prometteur…


Forcément, au regard de cet historique là, il devient difficile d’aborder ce « Glass » de manière neutre. Attentes. Craintes. Espoirs. Chacun ira voir ce film avec une approche qui lui est propre.
Pour ma part, j’y suis allé comme un spectateur enthousiaste et confiant. Non pas que je sois un fan d’« Incassable » de la première heure (au contraire même : je fais clairement partie de ceux qui considèrent que ce film marque le début d’une chute), mais il se trouve que je me suis fait agréablement surprendre l’an dernier par « Split ».
Mis en regard du déjà fort agréable « The Visit » sorti en 2015, il y avait là pour moi suffisamment de raisons d’être optimiste face à la sortie de ce « Glass »…
Et pourtant, je dois bien avouer que j’ai commencé par fortement déchanter.


Trois problèmes majeurs me sont apparus dès l’introduction.
Le premier – ô surprise – ce fut le personnage de la Horde. Gros point fort de « Split », il est vite apparu à mes yeux dans « Glass » comme un boulet me sortant régulièrement du film. Pourtant Shyamalan n’a pas apporté de changements majeurs à la manière de le traiter à l’écran, mais avec le recul, c’est peut-être justement là où se trouve le problème.
Dans « Split », tout le film se focalisait sur ce personnage : le découvrir c’était faire avancer l’histoire ; c’était aussi dévoiler le cœur de l’intrigue. Ainsi, tout le temps passé sur chacune des facettes qui composent la Horde participait à notre immersion, à l’enrichissement de l’univers.
Par contre, dans « Glass », la Horde n’est plus le cœur de l’intrigue. Il y une histoire qui se développe à côté de lui. Une histoire dont il n’est même pas – en soi – le héros. « Glass » a donc moins de temps à lui consacrer.
Aussi, l’obligation que Shyamalan semble s’être donnée de maintenir à l’écran le plus de personnalités possibles de la Horde devient quelque-chose d’encombrant. C’est une boursouflure qui non seulement ralentit le déroulement de l’intrigue, mais qui en plus menace l’immersion dans le film.
Moi, personnellement, je ne voyais plus la Horde à l’écran, mais plutôt James McAvoy en train de faire son show ; de cabotiner…


Et pour le coup ce premier problème est vite devenu un très gros souci quand il est venu se greffer à un autre aspect assez marquant de la première heure de ce « Glass » : je parle du retour (prévisible pourtant) de la démarche narrative mise en place dans « Incassable ».
Atmosphère dépressive et atone. Intrigue neutralisée par de longues dissertations qui répètent sans cesse la même idée en attendant le twist final. Ressorts émotionnels un peu artificiels et pas toujours crédibles…


(Je n’ai pas compté le nombre de fois dans ce film où on explique aux trois protagonistes de ce film qu’ils sont ordinaires, que leurs pouvoirs extraordinaires peuvent s’expliquer rationnellement, qu’il s’agit d’accepter et d’assumer la normalité… Franchement, cela relève autant du matraquage que de l’absence d’inspiration)…


Et quand j’ajoute à cela une réalisation très inégale lors de la première demi-heure, notamment en ce qui concerne les scènes d’action (il y a longtemps que je n’avais pas vu des plans faits à la Snorri cam aussi foireux), tout cela combiné m’a rapidement amené à me dire que ce « Glass » avait tout pour se transformer en véritable pétard mouillé…


Et pourtant, voila qu’au final je lui attribue quand même la note flatteuse de 7/10. Une bonne expérience donc que ce « Glass » ?
Eh bien en fin de compte oui. J’irais même jusqu’à dire qu’il y a dans ce film une vraie proposition de cinéma. Quelque-chose d’à la fois audacieux et plaisant.
En gros, et avec le recul, je dirais même que ce « Glass » est parvenu à accomplir (en partie) ce qu’ « Incassable » avait entrepris presque vingt ans avant lui mais sans succès.


Dans les faits, pour moi, tout s’est joué sur la seconde partie du film.
Après avoir posé tous ses éléments, Shymalan parvient progressivement à tous les relier ensemble, tissant petit à petit la trame d’un thriller à la fois efficace et surtout riche de signification. Parce que oui, l’air de rien, en faisant cheminer son « Glass » jusqu'à son apothéose finale, Shyamalan a su mettre le doigt sur ce qui faisait vraiment la force et le caractère séduisant d’« Incassable ».
En 2000, beaucoup avait vanté cet étrange mariage des genres auquel s’était risqué l’auteur de « Sixième sens » mais sans vraiment être capable d’expliquer ce que ce mariage apportait de concret. Traiter une histoire de super-héros en réutilisant tous les codes du cinéma dramatique, c’est certes original, mais ça permet quoi en fin de compte ?
Eh bien pour le coup, « Glass » apporte un élément de réponse.


En plongeant le concept de super-héros dans un cadre sérieux et dramatique, cet univers entend recréer un pont entre la culture populaire et le peuple. Il entend démontrer que la culture populaire dit quelque-chose du peuple car, pour le coup, elle est un produit du peuple, pour le peuple et par le peuple. Or il n’y a rien de plus populaire aux Etats-Unis que la culture du comic-book, qu’il s’agisse de ses origines que de son rayonnement auprès du grand public. Et que dit cette culture du Comic-book de la population américaine ? Elle traduit un fantasme d’extraordinaire ; de limites qu’on veut briser, de réalités sociales et physiques qu’on entend reconstruire. La culture du comic n’est pas qu’un monde d’évasion, elle est aussi la construction d’un idéal. Un idéal qui ne peut pas s’exprimer pleinement dans la société réelle et contemporaine. Shyamalan y voit les germes d’une révolution. Il y voit l’expression d’une société qui aspire à autre chose. Il y voit la volonté d’individus qui n’espèrent qu’une seule chose : pouvoir exprimer ce qu’ils sont et accomplir ce qu’ils pourraient accomplir. « Glass » ne parle que de ça. Et en repositionnant la culture du comic book dans les codes du cinéma dramatique, il nous oblige à confronter notre réalité à nos fantasmes. Il insiste sur le caractère dramatique de cette société qui brime les individus par le poids de la norme et – surtout – par son pouvoir à nous autopersuader que notre destin ne peut être réduit qu’à une forme de banalité apathique. Ce film est un appel à réinjecter de l’extraordinaire dans nos vies. Il est un miroir dérangeant qui nous rappelle l’apathie dans laquelle l’ordre social nous met. Pour moi c’est notamment pour cela que le parcours de ces trois héros-antihéros parvient à nous emballer à ce point.


Comme un point d’orgue d’une œuvre menée de main de maître, « Glass », comme « Split », parvient à conclure fort efficacement, sachant faire monter le plaisir par tout un jeu de révélations successives qui permet de prendre conscience de la richesse de l’édifice scénaristique mis en place pendant deux heures. Et comme je l’ai dit un peu plus haut, l’exercice est tellement bien mené que j’étais à deux doigts de mettre une petite étoile supplémentaire…


Ce qui m’a retenu ?
Quelques réticences liées à l’échafaudage de Shyamalan.
En fait il s’agit surtout de détails gênants qui démontrent toute la délicatesse de son exercice d’équilibriste. Parce qu’à vouloir surfer ainsi entre réalisme dramatique et épopée fantastique, les codes se percutent parfois sans parvenir à prendre de sens.


Je pense notamment au fait d’avoir voulu relier chaque super-héros a un potentiel successeur / sidekick / messie. Si le lien entre David Dunn et son fils passe sans souci, celui de Casey avec son ancien bourreau est quand même plus tiré par les cheveux. De même, je trouve que le film se débarrasse un peu trop facilement du caractère « meurtrier de masse » de M. Glass. A la fin il est posé comme héros, à la même hauteur que les autres. Il est celui qui a mis un bon coup dans la fourmilière et qui a déjoué les plans de la vilaine organisation. Mais bon, il a quand même tué un paquet d’innocents pour en arriver là ce mec ! Non ? Du coup, voir la mère tout fière trôner aux côtés des deux autres sidekicks de l’histoire, ça fait quand même un peu tâche.


Et c’est ce qui fait d’ailleurs toute la limite de ce film.


En fait il marche tant qu’on ne se pose pas trop de questions ; tant qu’on reste dans l’émotionnel. Pour le coup, ce n’est vraiment pas là la marque des grands chefs d’œuvre, et ça, difficile de passer outre me concernant. Mais bon, l’un dans l’autre, même si ce film est encore assez bancal sur pas mal de points, force m’est quand même de constater qu’il fait l’effort de creuser un sillon qui lui est propre, qu’il fait avancer le schmilblick l’air de rien, et qu’en cela il a beaucoup de mérite.


Donc bravo à l’ami Shyamalan et – qui sait – au plaisir de découvrir une potentielle suite…

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le 24 janv. 2019

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