On dit le détail, on dit tout est toujours dans le détail. Avec David Fincher, le détail est absolument partout. Dans un geste, une façon de se mouvoir, dans un regard, un visage qui se tourne vers nous, quelque part, un élément du décor, le titre d’un livre parfois (Amazing Amy) qui révélerait une personnalité… Et une boîte de Mastermind sous le bras quand Nick rejoint sa sœur dans un bar dont ils sont les propriétaires, puis quand ils tournent la roue de The game of life, guidés par le hasard au gré des joies et des saloperies de la vie. Gone girl sera un jeu lui aussi, jouissif, pervers et perverti. Un jeu qui s’enclenche comme un Cluedo, très simplement, avec des faits très simples et des questions plus simples encore.

Qui a tué Amy Dunne dans la cuisine ? Est-ce avec un tisonnier ? Un chandelier peut-être ? Plus problématique : où est passé le corps ? Puis Gone girl se change en un vaste puzzle que l’on tente de comprendre, d’agencer au mieux (mais en vain), puis en partie de cache-cache, puis au chat et à la souris, puis s’achève en jeu de la vérité, amère et cruelle. Fincher et Gillian Flynn, qui adapte ici son propre best-seller, se délectent à broyer sans cesse nos certitudes, à les infirmer toujours (Nick a-t-il tué Amy ? Qui était-elle vraiment ?...), pour peu que le roman nous soit inconnu, et sa conclusion un mystère. Le film, consciencieux et précis dans sa première heure, tourne ensuite à la farce macabre en forme de mille-feuilles scénaristique.

Les vraisemblances, au même titre que les apparences, deviennent relatives, altérables, jetées à la fin par-dessus bord, transformant le polar classique et attendu en parabole méta sur la nébuleuse du couple, incarnée dans cette image de Punch et Judy, marionnettes inquiétantes resurgies de l’enfance. Fincher pose les points d’entrée de son film (mise en place, indices et déroulement de l’enquête) pour lentement les altérer, révélant in fine l’illusion du bonheur dont la mélodie, ici, se serait corrompue, et même totalement achevée. Plus l’intrigue devient tordue, et les rebondissements hasardeux (un peu trop d’ailleurs, malmenant soudain l’assurance de nos esprits cartésiens), plus le film perd en pouvoir de séduction, s’épuise de ses champs troubles, accélérant maladroitement les événements dans une dernière demi-heure ramassée.

Entouré de ses sbires habituels (Jeff Cronenweth à la photographie, Atticus Ross et Trent Reznor à la musique), Fincher construit son film d’une main de maître (qui en doutait encore ?), s’amusant d’un Ben Affleck en mari ballot (mais pas que) et de Rosamund Pike, superbe, en cold bitch et femme fatale (la scène de l’égorgement fera date) qui associerait la blonde hitchcockienne à Matty Walker dans La fièvre au corps et Catherine Tramell dans Basic instinct. Gone girl appartient à ce que Fincher sait faire de mieux, énigmes et rébus presque théoriques, toujours méthodiques (Se7en, The game, Fight club, Panic room), qui fusionnent esthétisme quasi diégétique et art (poussé) de la manipulation. Plus qu’un thriller magistral, Gone girl est la vision funeste de l’amour et du mariage, d’un cynisme monumental.
mymp
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le 7 oct. 2014

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