Au lieu de comparer Good Kill à American Sniper – comparaison qui n'est pas injustifiée : les deux films commencent par l'exécution à distance d'une femme voilée et d'un enfant – il faudrait plutôt le rapprocher de Top Gun de Tony Scott. Dans une autre époque, celle de Reagan, le héros de Good Kill, Thomas Egan (Ethan Hawke) aurait pu piloter des F-16 et vivre, peut-être, une histoire d'amitié amoureuse avec l'un de ses coéquipiers. Mais Egan est un pilote déchu, privé d'épopée : depuis sa base établie à Las Vegas, au bord du désert, il dirige sur des écrans des drones de combat qui s'écrasent ponctuellement sur des talibans. La même scène se répète invariablement tout au long du film : dans un décor oriental qui ressemble à une plate-forme de jeu, Egan doit viser ses cibles, actionner un joystick et compter jusqu'à trois avant de tout faire exploser : voitures et terroristes, femmes afghanes et enfants.


Dans la répétition de cette morne tâche, le film d'Andrew Niccol voudrait saisir quelque chose de la fatigue du héros américain. Vêtu d'une combinaison grise couverte d'écussons, Ethan Hawke ressemble pourtant davantage à un employé de chez Speedy au bout du rouleau. Son jeu offre une synthèse de tout ce qui se fait de pire dans le cinéma américain actuel : visage inexpressif, voix mate, presque éteinte, on atteint ici le comble de l'underacting, véritable tendance de fond (voir Channing Tatum dans Foxcatcher) qui fait regretter l'énergie grandiloquente, l'éclat magnifique de Pacino ou Nicholson.


Mais Good Kill ne s'en tient pas au portrait de son héros dépressif, il veut aussi, comme autrefois le médiocre Gattaca, défendre une thèse, opposer la morale de son héros à celle d'un système. Egan accepte donc d'être un gamer au service de l'armée américaine, il prend même un certain plaisir à crier « good kill » (« dans le mille ») quand ses drones meurtriers atteignent leur cible, mais il se révolte lorsqu'il voit un taliban violer une femme sous l'oeil indifférent de sa hiérarchie. La restauration de la morale passera donc par une vengeance personnelle, où le héros s'offre en réalité un pur plaisir de gamer : celui d'aller voir ailleurs, de se détourner un instant de sa mission pour finir sa partie en solo et voir si ça marche. Et ça marche tellement bien que le film se termine, nous montrant Egan délivré du Mal : aucune hantise ne demeure dans ses yeux, il prend sa voiture et quitte le film le cœur léger. Ayant tué son taliban, il a au moins sauvé une femme afghane du viol et de la barbarie.


Comme tous les mauvais films – et celui-ci l'est particulièrement – Good Kill finit par faire l'apologie de ce qu'il prétend dénoncer : à savoir la « guerre électronique totale » dont parle Paul Virilio dans L'Ecran du désert, celle qui a pris forme avec l'opération Tempête du désert au début des années 90 lors de la Guerre du Golfe, faisant de toutes les guerres ultérieures des guerres-fantôme. Mais n'est-ce pas devenu un lieu commun de le dire, et pire encore, de le montrer dans un film ? Le succès populaire d'American Sniper aux Etats-Unis ne témoigne-t-il pas, au contraire, d'un immense besoin de légende, quand bien même celle-ci serait hantée ? C'est sans doute la raison pour laquelle Good Kill, en plus d'être mauvais, paraît si vain et stupide : voulant dire quelque chose de la guerre et de l'Amérique, il n'a dressé qu'un portrait de gamer sous addiction, visant, finalement, en plein dans le mille d'à côté.
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le 24 avr. 2015

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