De la différence entre fiction et réalité

Sifflé, critiqué... « Grace de Monaco » a fait une espèce de bide lors de sa sortie et surtout lors de sa diffusion au Festival de Cannes. Descendu par les historiens, certains critiques mais aussi la famille Grimaldi, le film semblait très mal parti. Réalisé par Olivier Dahan, à qui on doit déjà le très célèbre « La Môme » pour lequel Marion Cotillard a gagné un Oscar et le statut de célébrité outre-atlantique, cette nouvelle création a suscité toute une polémique en raison des choix scénaristiques de ses auteurs, lesquels ont décidé de faire travailler leur imagination au détriment de la véracité historique. Accusé de détourner les faits, d'avoir presque sorti un film de propagande, ce n'est cependant pas l'impression que ce long-métrage m'a laissée. La vraie raison de cette polémique est la simple question du « peut-on montrer ce qu'on veut au cinéma ? ». Il ne faut pas se leurrer car, comme l'a très explicitement dit Olivier Dahan, « Grace de Monaco » n'est de toute évidence pas un biopic, il n'a donc aucune obligation d'être fidèle à la réalité.
Le genre de la fiction historique est un genre extrêmement délicat dans lequel « les personnages s'y mêlent à ceux de la fiction d'une façon que j'espère agréable » comme l'écrivait Juliette Benzoni pour qui ce genre a toujours été très familier. Ce qui va définir plus en profondeur l’œuvre en question, c'est par conséquent le dosage entre faits et imagination qui y aura été fait : le biopic est une fiction historique avec un peu d'imagination et davantage de faits, alors que la fiction historique pure n'est quasiment qu'imagination. Mireille Calmel, Juliette Benzoni, Philippa Gregory... voire même Alexandre Dumas, ces auteurs ont participé à rendre populaire ce genre mais le sujet de leurs fictions (comme des adaptations cinématographiques et télévisuelles qui en ont été faites) portait sur une toute autre époque que celle que présente Olivier Dahan et son « Grace de Monaco ». Au fond, la fiction historique dérange moyennement quand elle porte sur un passé assez lointain que ce soit l'Antiquité avec le « Cléopâtre » de Mankiewicz (avec Elizabeth Taylor dans le rôle titre), le Moyen Âge avec Robin des Bois, la Renaissance avec les différentes adaptations des aventures de la famille pontificale des Borgia, l’Époque Moderne avec les Trois Mousquetaires, la Révolution Française avec le « Marie-Antoinette » de Sophia Coppola (avec Kirsten Dunst dans le rôle éponyme) jusqu'à la Seconde Guerre mondiale avec « Inglorious Basterds » de Tarantino. La fiction historique se glisse dans toutes les époques, se place comme par miracle dans un espace laissé vide ou défie toutes les lois de la logique pour se faire cette place. L'exactitude des faits n'est pas possible, ce qui est adapté n'est jamais la vérité quand ce sont des acteurs qui sont chargés de la reproduire. L'important dans une fiction historique est de rester l'auteur malgré les contraintes que ce genre impose, d'inventer les plus infimes détails d'une histoire dont les vérités générales sont déjà connues. En ce sens, « Grace de Monaco » rentre parfaitement dans la catégorie des fictions historiques pures.
Bien sûr, je suis toujours la première à relever les erreurs historiques, ou bien mythologiques quand il s'agit de films comme « Les Immortels » ou « Le Clash des Titans » mais c'est avant tout parce que les auteurs oublient jusqu'à l'essence même de la fiction historique (ou mythologique) : le concept. Si la vérité ne peut survivre dans cet univers, c'est le concept qui doit le faire. En l'occurrence, prendre le nom d'un personnage mythologique pour le coller à un personnage fictif sans aucun rapport, c'est tuer le concept. Mais c'est quelque chose que « Grace de Monaco » parvient à éviter : le concept de l'actrice de cinéma, devenue membre de la royauté, faisant face aux difficultés de cette vie à laquelle elle n'était pas préparée au sein d'une crise étatique, ce concept donc passe très bien. Néanmoins, je dois admettre qu'il n'est pas très crédible pour l'épouse d'un chef d’État de ne pas connaître la langue, les traditions et les usages de son pays d'adoption après six années de mariage. Sans compter que la vraie Grace Kelly avait réussi cet exploit en quelques mois à peine... mais les erreurs se glissent elles aussi partout.
Ayant écarté la critique du détournement historique, passons au film ! « Grace de Monaco » n'est pas un chef d’œuvre, mais à mes yeux il ne méritait pas non plus une telle polémique. En tant qu’œuvre cinématographique, c'est relativement bon. Les plans sont pensés de manière intelligente, l'éclairage, les costumes, le rythme... la réalisation est très satisfaisante. Au niveau des acteurs, je n'ai pas vraiment de critique à faire, je les apprécie beaucoup pour le reste de leur filmographie, leur jeu ici n'est pas réellement à remettre en question. Là où j'ai plus de mal, c'est avec le scénario. Certes, le film fait passer le temps, mais il peut devenir incroyablement niais. Le personnage de Grace m'est vite devenu insupportable, j'en étais soulagée de savoir que la princesse n'était pas réellement comme cela. Nous sommes tous conscients que les contes de fées n'existent pas, tout comme Grace. Néanmoins, ses réactions face à la tournure que prennent les événements sont celles d'une jeune damoiselle en détresse, personnage typique du conte pour enfants, qui semble vivre dans un monde d'arc-en-ciels, de licornes, de poneys qui volent et de jolis papillons très colorés qui vous font des bisous lorsqu'ils se posent sur votre épaule. L'image de la princesse Grace en super-héroïne qui vient à la rescousse de Monaco et de son prince est un peu trop exagérée, le discours qu'elle tient à la fin est le résumé même de ce que le personnage a été tout le long du film : une petite boule d'amour et de tendresse dans un monde de brutes, ou devrais-je dire le monde réel. Pourquoi la guerre ? Pourquoi la faillite ? Pourquoi le blocus ? Grace est tellement « guimauve » que le spectateur a très envie de la secouer durant toute la seconde moitié du film.
Grace n'est pas le seul personnage à avoir été mal écrit. Son attitude de sainte permet de faire une très légère comparaison avec celles de ses compagnes de la Croix-Rouge, lesquelles ne sont visiblement pas très emballées à l'idée de participer à des actions caritatives et ne pensent qu'à organiser leur grand bal annuel. C'est tellement agaçant de voir un film dans lequel la protagoniste porte le panneau « Adorable gentille » autour du cou et s'entoure de personnages portant les pancartes « Futiles et égoïstes seconds rôles ». On retrouve le manichéisme à l'américaine que j'aime tant... et si vous avez saisi l'ironie de cette dernière affirmation, je vous en félicite.
Globalement, le film n'est pas si mauvais. En le considérant comme une fiction, en faisant abstraction de la réalité historique, on peut le regarder et se laisser divertir en toute tranquillité. Néanmoins, je reste déçue par la niaiserie du personnage principal. Le résultat est potable, même si ça ne casse pas trois pattes à un canard. En tous cas, ça reste meilleur que « Diana » pour moi.

Sylwanin
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le 13 juin 2016

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