Si Green Book apparaît aujourd'hui comme une évidence parmi les solides prétendants aux oscars, d'autant plus avec Viggo Mortensen (Seigneur des anneaux, Les promesses de l'ombre, Captain Fantastic, bref même si tu vis dans une grotte tu le connais) et Mahershala Ali (oscar du meilleur second rôle pour Moonlight, rôle principal de la saison 3 de True detective), on pouvait toutefois douter du projet sur papier.
Réalisé/scénarisé par l'un des frères Farrely (Peter), créateurs de tout un tas de comédies cultes (Mary à tout prix, Dumb et Dumber) de qualité décroissante jusqu'au nauséeux Dumb et Dumber De en 2014, co-écrit avec Brian Hayes Currie (Armageddon, Les ailes de l'enfer) et Nick Vallelonga, inconnu aux bataillons mais petit rôle et/ou réalisateur dans un tas de films bourrins, le projet se traînait comme une odeur de souffre. Si on ajoute le titre "Green Book" qui fait référence au "Guide touristique" réservé aux noirs dans l'Amérique ségrégationniste, on avait potentiellement peur d'assister à une boucherie, du genre chirurgie cardiaque par un bonobo avec une clef à molette. Craintes infondées ! Nos trois gaillards sont à l'origine d'un des feel good movie les mieux troussés de ces derniers mois, avec un message certes consensuel - vous allez finir par vous aimer les uns les autres, bordel - mais délivré non sans intelligence ou piquant.
Green Book est tiré de l'histoire vraie (largement remise en doute par la famille de l'artiste, mais que seraient les Oscars sans leurs procès ?) de l'amitié de Tony Lip, père du scénariste Nick Vallelonga, petite frappe beau parleur de little italy un brin trop dans les mœurs de son temps, et Don Shirley, musicien noir prodigieux et érudit souhaitant que Thony le conduise lors de sa tournée dans le Sud des Etats-Unis. De ce choc des cultures, le gros bras rustre contre l'artiste raffiné, va naître un changement des deux caractères au long de cette inoxydable formule du grand road-movie perclus de péripéties permettant aux personnages de relativiser leurs visions du monde.
Si la réalisation proprette et la recréation de l'époque soignée assurent un minimum entendu, l'essentiel se situe dans la prestation du duo. Viggo Mortensen métamorphosé, vingt kilos de pizza/tiramisu en plus, est terriblement crédible en rital canaille tiré d'un Scorcese ou des Soprano (inspiration avouée), parfaitement à l'aise au milieu de seconds rôles non professionnels : la véritable famille de Thony Vallelonga. Face à lui, Mahershala Ali, propulsé par Moonlight après une carrière en demi-teinte, brille dans son rôle de génie incompris, à la fois de son époque qui le rejette et de la "communauté noire" avec laquelle il ne partage rien ou presque. Le beau et la bête s'apprivoisent en voguant de villes en villes, d'un New-York moderne à d'ex-plantations de cotons engluée dans leurs mentalités très Django Unchained.
Drôle, rythmé, ayant cueilli ses personnages à un moment charnière de leurs vies respectives, oui Green Book est (presque) trop facile mais ça marche tellement bien que l'on serait bête de bouder son plaisir. Immanquable.